Accueil · Fiscalité · Impôt sur la fortune · Qui veut taxer les millions ? Qui veut taxer les millions ?
Tandis
que le gouvernement ponctionne la population pour aider les banques, le PTB se démarque
en défendant une taxe sur les millionnaires. En voici le pourquoi et le
comment.
Jean-Paul
Votron & Jean-Pierre Vatran
Jean-Paul
Votron est l’ancien n°1 exécutif de Fortis. Avec le président Maurice
Lippens, il a fait sauter la banque. Pour sa punition, il vient de se voir
verser sur son compte 6,3 millions d’euros. Vous savez, ces fameux parachutes
dorés qu’on parlait de supprimer.
Les années précédentes, il a gagné jusque 4 millions par an. Pour se
justifier, il se comparait à Justine Henin: quand on a des talents
exceptionnels, on a droit à une rémunération exceptionnelle. Ben oui, mener
une banque florissante à la quasi-faillite, ce n’est pas donné à tout le
monde.
Jean-Pierre Vatran, lui, est intérimaire chez Fortis. À cause de
Jean-Paul, il risque d’être bientôt remercié. Surtout si BNP-Paribas
reprend Fortis et applique les synergies programmées. Jean-Pierre ira alors
tout droit au chômage sans passer par la case parachute doré.
Question: le patrimoine de qui est-il taxé? Celui de
Jean-Paul ou celui de Jean-Pierre? Après 34 ans de carrière, dont 18 ans
dans des banques, Votron a dû accumuler quelques dizaines de millions
d’euros. Cette fortune est essentiellement financière. En Belgique, elle
n’est soumise à aucun impôt.
Par contre, le seul patrimoine de Jean-Pierre est immobilier:
c’est la maison qu’il habite à La Louvière. Le revenu cadastral de cette
maison (un revenu purement théorique puisque cet immeuble ne lui rapporte rien)
est taxé à… 60%. Conclusion: en Belgique, il n’y a pas d’impôt
sur les gros patrimoines (financiers), mais seulement sur des patrimoines
(immobiliers) généralement plus beaucoup modestes.
Albert
Frère & ma sœur Alberte
Il
y a des fortunes encore nettement plus importantes que celle de Votron. Par
exemple, celle d’Albert Frère, le financier carolo dont les intérêts sont
liés à ceux de BNP-Paribas. Vous savez, la banque qui devrait racheter Fortis
à un prix soldé grâce à l’aide des contribuables belges...
Selon Trends-Tendances, la fortune de Frère s’élève à 5,19
milliards d’euros (2008). Avec un tel magot, il n’a pas de problème pour
payer sa facture d’énergie. D’autant qu’il est le premier actionnaire
privé de Suez et de Total.
Par contre, avec sa pension mensuelle de 915 euros, ma sœur Alberte se
demande comment payer la facture de gaz-électricité. Elle attend un geste du
gouvernement. Si celui-ci appliquait un impôt annuel de 2% sur la seule
fortune d’Albert Frère, il pourrait augmenter de 100 euros par mois ma sœur
Alberte et… 86500 autres pensionnés. Mais bon, contrairement à Albert
Frère, ma sœur Alberte n’est pas une intime du ministre des Finances.
Les
pauvres de Colbert &les millionnaires
du PTB
Quelle
est la fortune de la population belge? Selon la Banque nationale, le
patrimoine immobilier de la population belge atteint 900 milliards d’euros et
le patrimoine financier 840 milliards (situation mi-2008). Soit un total de 1740
milliards, ou 435000 euros par ménage. Mais c’est une moyenne, bien sûr.
Beaucoup possèdent nettement moins. Par contre, 1% de la population possède
un quart de cette fortune.
«Sire, taxons les pauvres, ils sont plus nombreux», disait
Colbert, le grand argentier de Louis XIV. Le PTB propose plutôt de taxer les
riches: ils sont plus nombreux à n’avoir aucun problème de pouvoir
d’achat. C’est quoi un riche? C’est quelqu’un dont le patrimoine dépasse
un million d’euros. Maison d’habitation non comprise.
L’idée est de soumettre tout ce qui dépasse ce million d’euros à
une taxe annuelle de 2%. Exemple: celui qui possède 1,3 million
d’euros (hors maison d’habitation) payera 300000 x 2% = 6000
euros.
Cela concerne combien de personnes? Selon un rapport publié en
2007 par la banque Merrill Lynch, notre pays compte 68000 millionnaires en
dollars. Le dollar vaut moins que l’euro, mais cette estimation ne porte que
sur le patrimoine financier. Si l’on ajoute le patrimoine immobilier (autre
que la maison d’habitation) et les biens mobiliers (bijoux, tableaux, autos,
yachts…), on peut estimer qu’il y aurait entre 50000 et 100000
redevables de la taxe des millionnaires.
Les
prétextes contre & les raisons pour
Les
adversaires de la taxe sur les millionnaires diront que c'est une nouvelle taxe
qui touchera aussi des gens qui ont travaillé toute leur vie. Faux: si
quelqu’un parvient à accumuler un million d’euros en plus de sa maison
d’habitation, c’est qu’il s’est aussi enrichi sur le dos de gens qui ont
travaillé toute leur vie sans, eux, s’enrichir.
Les adversaires de la taxe sur les millionnaires diront aussi que cette
taxe est irréaliste. Faux: elle existe dans de nombreux pays, y compris
chez nos voisins français. Mais cela implique bien sûr d’établir un
cadastre des fortunes et de mettre fin à ce secret bancaire qui fait que la
Belgique est aujourd’hui montrée du doigt par l’Union européenne et
l’OCDE.
Les adversaires de la taxe sur les millionnaires diront aussi que cette
taxe fera fuir les capitaux. Faux: en France, une petite partie des
redevables de l’impôt sur la fortune ont fuit le pays,mais par leurs
capitaux. Par exemple, des membres de la famille Mulliez, première fortune française,
ont trouvé exil fiscal en Belgique, mais leurs magasins Auchan sont toujours en
France.
À côté de ces faux prétextes, il y a surtout de bonnes raisons
d’instaurer la taxe sur les millionnaires. D’abord pour inverser une
fiscalité d’inspiration libérale qui fait payer aux bas et moyens revenus
les cadeaux fiscaux accordés aux plus riches. Ensuite parce que, vu le déficit
budgétaire actuel, il faut d’urgence des moyens pour refinancer
l’enseignement et la sécurité sociale. Enfin, parce qu’une telle taxe
entraînera un transfert de revenu des très riches vers la population. Or, un
très riche ne consomme pas: il accumule. Par contre, si les ménages
ordinaires consomment plus, cela peut relancer la production et donc créer des
emplois.
Marco
Van Hees
Publié dans Solidaire, le 30 avril 2009
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