Accueil · Fiscalité · Impôt des sociétés · Centres de coordination : une fraude légale de 2 milliards € Centres de coordination : une fraude légale de 2 milliards €
Quelque 200 multinationales fraudent en Belgique pour
le montant astronomique de 2 milliards d'euros. Particularité: cette fraude,
pratiquée via les centres de coordination, a été autorisée et même encouragée
par le gouvernement.
«Allô, pourriez-vous m'envoyer la liste des centres de coordination agréés
par les autorités.
- Certainement, monsieur. Mais je dois vous prévenir: la liste remonte à
plusieurs années, car nous ne publions plus de liste actualisée.
- Ah bon? Pour quelle raison?
- Euh... Décision du chef...»
Cette réponse d'un fonctionnaire de l'administration centrale du ministère
des Finances le confirme: les centres de coordination figurent parmi les sujets
tabous dans notre pays. On comprend. Ils permettent aux multinationales de mener
une véritable fraude légale. Ces centres doivent être agréés par arrêté
royal. Or, contrairement à tous les autres, de tels arrêtés ne sont pas publiés
au Moniteur. Auparavant, l'administration publiait périodiquement une
liste des agréments accordés. Mais comme on vient de le lire, même cette
pratique a été abandonnée.
Comment faire alors pour dénicher la fameuse liste? Via les bilans annuels
que toute société doit déposer à la Banque nationale. Les données de
ceux-ci sont compulsés chaque année par Trends dans son Top 100.000.
Nous y avons recherché les centres de coordination et avons calculé le montant
total de leurs bénéfices et impôts payés. Le résultat est effarant
Mais avant tout, qu'est-ce qu'un centre de coordination? Il s'agit d'une
entreprise appartenant à un groupe multinational et qui exerce pour celui-ci
des activités administratives et surtout financières. Il joue en quelque sorte
le rôle de banquier du groupe. En 1982, le gouvernement belge a rendu un arrêté
royal1 de pouvoirs spéciaux (c'est-à-dire ayant valeur de loi sans
devoir être approuvé par le parlement) offrant une exonération fiscale
presque totale à ces centres. Motif officiel: attirer en Belgique ces quartiers
généraux des multinationales dans l'espoir de créer de l'emploi.
Un taux d'imposition moyen de... 1,36%
Les conditions pour s'assurer le caractère multinational du groupe sont
strictes: il doit posséder des filiales dans au moins quatre pays et doit réaliser
à l'étranger au moins 125 millions d'euros ou 20% du chiffre d'affaires total
consolidé. La condition relative à l'emploi est elle nettement plus maigre
puisque le centre doit occuper au moins... 10 équivalents temps plein.
Comme le centre de coordination joue le rôle de banquier, il prête aux différentes
filiales du groupe l'argent dont elles ont besoin et elles le remboursent avec
intérêts. Cela permet à la multinationale de transférer une partie
substantielle de ses bénéfices vers le centre. Laquelle partie échappe à
l'impôt grâce à ce régime fiscal.
En passant, la multinationale en profite pour présenter de ses filiales
l'image financière qui l'intéresse. Ainsi, début des années 90, le groupe américain
Caterpillar a mis son usine de Gosselies au bord de la faillite: elle devait
supporter les charges financières d'un quart des investissements de l'ensemble
du groupe, intérêts qui étaient versés au centre de coordination. Celui-ci
faisait donc de plantureux bénéfices, tandis que la prétendue situation
catastrophique de l'usine carolo «imposait» des pertes d'emploi. De plus,
l'usine avait bénéficié d'aides publiques dont les clauses l'obligeaient à
maintenir l'emploi sous peine de devoir être remboursées. Mais faisant valoir
le risque de faillite, la direction a pu éviter le remboursement. L'immense
cadeau accordé au centre de coordination ne suffisait donc pas
Quel est l'impact fiscal global de cette invention surprenante du
gouvernement belge? En 2002, dernière année disponible, on recense 207 centres
de coordination. Ils totalisent un bénéfice colossal de 5,36 milliards d'euros
(216 milliards de FB). Sur ces bénéfices, ils ont payé des impôts pour le
montant ridicule de 73 millions d'euros. Oui, tous ensemble! Ce qui fait un taux
d'imposition moyen de... 1,36%. Certains centres de coordination ne payent même
que 0,01 ou 0,03% (voir tableau). Alors que le taux d'imposition d'une grande
partie des salariés est situé entre 30 et 40%.
Quel est le manque à gagner pour l'Etat, c'est-à-dire pour les
contribuables? Si les 207 centres de coordination avaient été taxés au taux
normal de l'impôt des sociétés, qui était en 2002 de 40,17%, ils auraient
payé au fisc 2,15 milliards d'euros. Par rapport aux 73 millions effectivement
payés, cela fait une fraude légale de 2,08 milliards d'euros ou 84 milliards
de FB.
De quoi payer près de la moitié des allocations de
chômage
A titre de comparaison, cela représente presque la moitié des allocations
versées en 2002 à l'ensemble des chômeurs complets du pays. Vous savez, ces
personnes que le gouvernement traite de profiteurs, l'exclusion de certains
ayant déjà été inscrite dans le budget 2004: une économie attendue de 46
millions d'euros. 45 fois moins que la fraude légale des multinationales.
Les partis socialistes affirment périodiquement qu'il faudrait songer à
mettre fin au régime des centres de coordination, création d'un gouvernement
libéral-chrétien. Mais ils ne semblent pas pressés de sortir de leurs songes
pour passer aux actes, puisqu'ils participent aux coalitions gouvernementales
depuis 1988.
En tout cas, pour les travailleurs, la suppression des centres coordination
est une revendication du même ordre que l'impôt sur les fortunes: il s'agit de
prendre l'argent où il est accumulé, pour financer le social.
Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 04-02-2004
La
liste des 207 centres de coordination
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