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Le proprio du fisc domicilié dans
Vu à la télé : l’Etat vend ses bâtiments au privé
pour les reprendre en location. Ce que la RTBF n’a pas dit : l’une des sociétés
propriétaires a son siège au Delaware, un paradis fiscal.
Ce n’est pas une blague: la rue des Trois Boudins
existe vraiment à Mons. Le SPF Finances y dispose d’ailleurs d’un bâtiment
que vous avez peut-être vu, la semaine passée, dans l’émission «Questions
à la Une» (RTBF) que le journaliste Franck Istasse consacrait à la
vente des bâtiments de l’Etat.
Bâtiment du SPF Finances à la rue des Trois Boudins à Mons (Photo Marco
Van Hees)
Depuis quelques années, le gouvernement a cédé au privé
une grande partie des immeubles publics, l’Etat passant du statut de propriétaire
à celui de locataire. Car il faut bien continuer à offrir un toit aux
fonctionnaires.
Ces opérations, dénommées sale and lease back, ont
notamment frappé la rue des Trois Boudins. Fin 2003, l’Etat y conclut la
vente d’un bâtiment du SPF Finances (impôt des sociétés et cadastre) pour
un montant de 9,41 millions d’euros. Un bail de 18 ans est signé. Il fixe le
loyer à… plus d’un million d’euros par an. Après ces 18 ans, l’acquéreur
privé aura donc récupéré deux fois sa mise.
Qui est l’heureux bénéficiaire de cette opération?
L’émission de la RTBF indique simplement qu’il s’agit d’un grand groupe
immobilier américain. Mais la loi domaniale du 18 juillet 2005 nous apporte une
réponse plus précise.
Comme la valeur du bien dépasse 1,25 million d’euros, le
ministre des Finances Didier Reynders (MR), en charge de la Régie des bâtiments,
doit soumettre la vente au Parlement. La loi sera votée par 79 pour (majorité
libérale-socialiste) et 42 abstentions. Aucun des députés ne vote contre.
Pourtant, outre le scandale que représentent les sale and
lease back, les parlementaires pouvaient lire noir sur blanc dans le projet de
loi: «Vente par l'Etat belge à la société de droit de l'Etat de
Delaware "Belgov (DE) QRS 15-66, Inc". » Le Delaware étant un
paradis fiscal notoire (lire ci-contre). Le service fédéral chargé de
combattre la fraude a donc parmi ses propriétaires une entreprise naviguant
dans les eaux troubles de la fiscalité internationale.
Cette entreprise, filiale de W.P. Carey, un des plus grands
groupes immobiliers américains, porte même le nom du gouvernement belge
(Belgov), sans doute en honneur de son bienfaiteur. Car outre les généreux
loyers perçus, elle refacture au locataire le précompte immobilier, ainsi
qu’une série de charges qui incombent normalement au propriétaire.
Enfin, si son siège social se trouve à Wilmington, première
ville du Delaware, son domicile fiscal belge est situé… rue de Trois Boudins.
Oui, à l’adresse du SPF finances. Le fisc héberge donc son propriétaire
paradisiaque.
Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 12 octobre 2010
Lien : le
reportage de Question à la Une (RTBF)
On privatise bien les banques…
La vente des bâtiments de l’état
est une privatisation au même titre que celle de sociétés comme la CGER,
Belgacom, Sabena, La Poste ou Cockerill Sambre. Pour l’état, ces
privatisations représentent une recette à court terme, mais des charges, bien
plus lourdes, à long terme. Pour le privé, elles constituent un terrain
d’investissement particulièrement lucratif.Depuis les premières ventes, décidées
par le gouvernement en octobre 2000, tous les partis gouvernementaux ont été
associés à ces opérations (côté francophone, MR, PS, Ecolo et CdH), même
si certains de leurs représentants se montrent critiques dans les médias. Il
faut dire qu’en 2006, la Cour des comptes a rendu un rapport accablant sur
cette dilapidation du patrimoine public.
Comme souvent dans les
privatisations, la vente de ce patrimoine s’accompagne d’un sabotage du
service public qui doit permettre de démontrer la nécessité de céder
l’activité au privé. C’est le cas avec la Régie des bâtiments, où le
manque de moyens, le manque de personnel, la mauvaise gestion et même les
affaires de corruptions au sommet ne sont certainement pas un hasard.
Or, le privé, en plus de se sucrer aux dépens de la population, n’offre pas
les garanties d’une saine gestion. La CGER publique a fonctionné plus de 130
ans sans jamais devoir faire appel à l’aide de l’état. Il lui a suffi de
10 années de gestion privée, sous l’enseigne Fortis Banque, pour se trouver
au bord de la faillite et venir pleurer dans les jupes du gouvernement.
Bienvenue au Delaware
«Le G20 est une entreprise sans crédibilité si sur
la liste dite “noire” des paradis fiscaux, il n'y a pas le Delaware, il n'y
a pas le Wyoming, il n'y a pas le Nevada…» Qui ose ainsi vilipender, en
2009, le groupe des 20 pays créant 90% de la richesse mondiale et se
targuant de réguler la finance internationale? Le Premier ministre
luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, excédé par les attaques visant son pays.
Ce différent traduit une réalitédifficilement
contestable: de Monaco aux îles Bermudes, du Lichtenstein à l’île de
Man, la plupart des puissances économiques disposent de paradis fiscaux à leur
porte, voire – comme pour le Delaware – sur leur propre territoire. Et
chacune dénonce les paradis des autres.
Avec 873000 habitants et une superficie qui fait la
moitié de la Flandre, le Delaware est l’un des plus petits états des USA.
Mais plus de 50% des plus grosses fortunes américaines et 43% des
sociétés cotées à la Bourse de New York y sont domiciliées.
Le Delaware arrive d’ailleurs en tête du classement établi
par l’ONG Tax Justice Network sur base d’un «indice d’opacité
financière», pondéré par l’importance économique des paradis
fiscaux considérés.
Il est vrai que la législation y est, disons, particulière.
Il n’y a pas d’impôt sur les bénéfices, ni sur les dividendes versés aux
actionnaires. Pas plus de droits de succession sur les actions détenues par les
non-résidents, ni même d’obligation de tenir une comptabilité. Les
entreprises doivent simplement payer une taxe forfaitaire d’environ 200 euros.
Il est possible d’y créer une société en 48 heures, sans
se déplacer: il suffit d’avoir une connexion internet et une carte de
crédit. Et l’on peut ouvrir un compte en banque sans devoir communiquer le
nom des véritables propriétaires de la société.
De plus, les juges et la jurisprudence y sont particulièrement
«pro-business», tranchant les litiges le plus souvent au profit
des sociétés, en cas de plainte des consommateurs ou des petits actionnaires.
Toutes ces «vertus» du Delaware sont
d’ailleurs reconnues jusqu’en Belgique. Selon une enquête de Solidaire
(novembre 2009), huit des trente premières fortunes belges ont des filiales de
leur groupe implantées dans cet état paradisiaque: les familles Lhoist,
Emsens, Bekaert, Janssen, D'Ieteren, Collinet, Huts et Thermote.
29.12.2010. 08:24 |