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KB-Lux : comment blanchir des fraudeurs de luxe

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Les banquiers de la KBC poursuivis pour fraude ne seront pas jugés sur le fond de l’affaire. La Cour d’appel a estimé que les preuves avaient été manipulées par le juge d’instruction.

«Le riche est toujours cru, le pauvre est toujours cuit», titrions-nous il y a un an lors du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Bruxelles dans l’affaire KB-Lux. Ce 10 décembre, la Cour d’appel a confirmé le jugement en question, estimant que des preuves avaient été illégalement intégrées au dossier par le juge d’instruction Jean-Claude Leys.

Les dirigeants de la KBC et de sa filiale luxembourgeoise KB-Lux – principalement Damien Wigny, Etienne Verwilghen et Remi Vermeiren – étaient poursuivis pour une gigantesque fraude de 400millions d’euros. Année 1994: des employés de la KB-Lux livrent à la justice des listings de riches clients belges auxquels la banque a proposé des formules pour frauder le fisc. On découvrira plus tard que les agences belges de la Kredietbank (ancien nom de la KBC) jouaient le rôle de rabatteur vers la KB-Lux. En 1999, les enquêteurs constatent que la Kredietbank a aussi élaboré des mécanismes pour blanchir de l'argent criminel: carrousels à la TVA, trafic d'hormones, scandale de la dioxine, etc.

Le fait que les dirigeants de la banque quittent le procès sans condamnation est d’autant plus choquant que la fraude est avérée. En effet, de nombreux clients de la KB-Lux ont accepté les rectifications du fisc. Mais les organisateurs de la fraude, eux, sortent par la grande porte.

Si la fraude est certaine, pourquoi les enquêteurs auraient-ils trafiqué les preuves? Peut-être pensaient-ils que la jurisprudence était trop incertaine par rapport à des preuves voléeset qu’il fallait les présenter de manière un peu plus propres.

Le juge dispose d’une certaine marge d’appréciation face à des preuves irrégulières. Celles-ci ne sont pas rejetées d’office. Elles ne le sont que dans certains cas, en particulier si les irrégularités sont de nature à ôter aux preuves leur fiabilité ou à compromettre le droit à un procès équitable. Il semble que c’est ce dernier élément qu’aurait retenu la Cour d’appel.

Mais la notion de procès équitable est fort subjective et on peut se demander si des justiciables ordinaires, défendus par des avocats moins renommés – et moins chers – auraient obtenu une même sentence. En effet, Adrien Masset et Raf Verstraeten, les avocats de Verwhilgen et Vermeiren sont professeurs d’université. Quant à Michèle Hirsch, avocate de Wigny, elle a été conseil de l’état d’Israël dans l’affaire Ariel Sharon.

Fermer le centre de la grande fraude: les banques privées

Toujours est-il que ce procès comme d’autres grandes affaires (QFIE, sociétés de liquidité) montrent que, dans notre pays, les banques peuvent faire valoir une expertise unique en matière d’organisation de la fraude pour elles-mêmes et leurs riches clients. Or, paradoxalement, ce sont les seules sociétés à jouir du privilège fiscal inscrit à l’article 318 du code des impôts sur les revenus: le secret bancaire. Un article à abroger d’urgence.

D’autant que la responsabilité des banques dans la fraude fiscale vient s’ajouter à une longue liste de griefs, dont le moindre n’est pas la crise financière de 2008. Il faudrait donc sérieusement penser à nationaliser le secteur bancaire: plutôt que de retirer notre argent des banques, comme le défend le footballeur Eric Cantona, retirons le privé des banques. Cette perspective peut sembler utopique, mais elle l’est certainement moins que de vouloir moraliser la finance.


KB-Lux :: Les casseroles de Remi Vermeiren

L’affaire KB-Lux n’est pas la seule casserole de Remi Vermeiren, cet homme d’affaires qui a été à la tête de la KBC jusqu’en 2003.


Remi Vermeiren

- Pressions sur ministre. à la même époque que l’affaire KB-Lux, une autre grande fraude mobilise l’inspection spéciale des impôts (ISI): l’affaire QFIE, dans laquelle 14 banques sont impliquées. Parmi celles-ci, la KBC (KB à l’époque) est mal prise car l’ISI menace d’appliquer une pénalité de 1000% en matière de taxe sur les opérations de Bourse. Le vendredi 30 janvier 1995, Remi Vermeiren demande rendez-vous au ministre des Finances, Philippe Maystadt, qui, dès le lundi matin, fait envoyer un fax aux fonctionnaires du fisc – dont certains, dégoûtés, démissionneront de leurs fonctions – afin que la banque puisse trouver une issue moins onéreuse[i].

- Scandale Super Club. Le nom de Remi Vermeiren apparaît aussi dans le scandale Super Club, malversation financière liée aux actions d’une chaîne de magasins vidéo et impliquant des responsables politiques du CVP (actuel CD&V) ainsi que la KBC et sa filiale KB-Lux. La banque a notamment proposé à ses clients des fonds de placement comprenant des actions Super Club.

- Suspicion de délit d’initié. Vermeiren a également été suspecté de délit d’initié dans le cadre du troisième sauvetage de la KBC par l’état belge, en 2009. Le dossier a toutefois été classé sans suite et l’ancien dirigeant de la banque n’a donc pas été poursuivi.

- «In de Warande» et Vives. Ici, il ne s’agit plus de malversations financières, mais de malversations politiques. Seulement, si les banques sont si puissantes en Belgique – et les banquiers fraudeurs si rarement condamnés – leurs liens avec le monde politique y est certainement pour quelque chose, surtout s’agissant de la KBC.

C’est Remi Vermeiren qui, en 2005, fonde «In de Warande», groupe issu monde patronal flamand qui publie un manifeste exigeant un grand coup d’accélérateur dans le processus d’indépendance de la Flandre. C’est également Vermeiren qui, en 2008, crée l’institut de recherches Vives, dont il est le président. Ce think tank envoie régulièrement aux médias des études qui portent le logo de l’Université de Louvain et qui épousent parfaitement les thèses de la NV-A et de l’organisation patronale Voka. Personne ne sait d’où viennent les fonds de Vives – 300 000 euros par an – mais il ne serait pas irraisonnable de penser que la KBC figure parmi les généreux donateurs.

[i] Voir Marco Van Hees, Banques qui pillent, banques qui pleurent, Aden, 2010.

29.12.2010. 09:51