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Exclusif : trente richards possèdent 785 filiales off-shore

article 3

Parmi les 30 plus grosses fortunes de Belgique, 27 possèdent des sociétés détenant des filiales dans des paradis fiscaux.

Les richards vivent-ils au paradis? Non, ils vivent aux paradis. En effet, chaque paradis fiscal a ses particularités. Ainsi, les fortunés belges (ou les riches exilés fiscaux que nous n’enfermons pas dans des centres fermés) profitent chez nous de l’absence d’impôt sur le patrimoine. De même, leurs multinationales bénéficient du régime fiscal des centres de coordination ou du régime qui les remplace, les intérêts notionnels.

Mais leurs groupes créent aussi des filiales dans d’autres paradis fiscaux, qui présentent des attraits spécifiques. Nous avons épluché les comptes des sociétés des trente premières fortunes belges[1] et avons localisé leurs filiales paradisiaques. Au total, 785. Impressionnant! Même si Fortis Banque ­– le bébé dont on a retiré la garde à Maurice Lippens – en accapare la moitié.

Le paradis le mieux représenté est le Grand-duché de Luxembourg, avec 220 filiales. Trois richards y ont d’ailleurs établi aussi la maison-mère de leur groupe: Jan De Nul, Theo Roussis et son épouse Gunhilde Van Gorp, ainsi que le baron Dominique Collinet. Contrairement aux normes internationales, la loi belge permet aux résidents d’administrer des trusts à l’étranger. Dans les années 90, ce même baron avait nommé comme administrateur de son centre de coordination un certain… Didier Reynders, le futur ministre des Finances.

Le Libéria est spécialisé dans les pavillons de complaisance et, à l’instar des îles Marshall et du Luxembourg, dans les montages financiers pour leasing maritime. Justement, les sociétés maritimes de la famille Saverys, CMB et Euronav, détiennent 15 filiales au Libéria, 5 aux îles Marshall et 3 au Luxembourg. Quelle coïncidence, non?

Enfin, il y a les filiales hors concours. Nous n’avons pas retenu celles installées en Belgique, bien sûr, ni aux Pays-Bas et à Londres (pourtant considérés comme des paradis fiscaux) en raison de la difficulté d’y distinguer filiales ordinaires et filiales paradisiaques. Mais relevons par exemple que la Sofina, holding de la famille Boël, possède 10% de RAB Finance, un hedge fund basé à la City de Londres. Les hedge funds, fonds spéculatifs considérés comme les pirates de la finance, sont pour deux tiers d’entre eux implantés dans des paradis fiscaux.

Nous n’avons pas non plus repris les sociétés familiales à partir desquelles nos trente richards contrôlent le capital de leur groupe. Une telle société peut aussi avoir des raisons de s’implanter dans un paradis fiscal. Si ça vous tente, sachez tout de même qu’à Jersey, par exemple, les sociétés de ce genre sont créées pour des fortunes d’au moins un million d’euros.

Marco Van Hees


Le nombre de filiales par paradis fiscal

Anguilla (8) : Lippens (Fortis) 8.

Antilles néerlandaises (71) : Velge-Bekaert (Bekaert) 1, Bertrand ( Ackermans & Van Haaren ) 1, Lippens (Fortis) 69.

Bahamas (9) : de Spoelberch (Inbev) 1, Cigrang (Cobelfret) 4, Lippens (Fortis) 4.

Bahrein (1) : Sarens (Sarens Bestuur) 1.

Bélize (1) : de Spoelberch (Inbev) 1.

Bermudes (1) : de Spoelberch (Inbev) 1.

Chypre (3) : Lhoist-Berghmans (Lhoist) 3.

Delaware (39) : Lhoist-Berghmans (Lhoist) 7 , Emsens (Etex, SCR-Sibelco) 1, Velge-Bekaert (Bekaert) 7, Janssen (UCB, Solvay) 16, D'Ieteren (D'Ieteren) 3, Collinet (Carmeuse Holding) 2 , Huts Fernand et Karine (Katoen Natie, Kraenkinders) 1, Thermote & Vanhalst (TVH) 2.

Dubai (2) : De Nul (Jan De Nul, Sofidra) 1, Velge-Bekaert (Bekaert) 1.

Dublin (23) : Frère (GDF Suez, Suez Env., Lafarge, Pernod) 5, Boël (Sofina, Danone) 7, Velge-Bekaert (Bekaert) 1, Haspeslagh Eduard (Hesbayefrost, Ardo Holding) 1, Lippens (Fortis) 9.

Gibraltar (2) : de Spoelberch (Inbev) 1, Collinet (Carmeuse Holding) 1.

Guernesey (39) : Lippens (Fortis) 39.

Hong Kong (113) : de Spoelberch (Inbev) 11, Lhoist-Berghmans ( Lhoist ) 1 , De Nul (Jan De Nul, Sofidra) 1, Velge-Bekaert (Bekaert) 11, Janssen (UCB, Solvay) 2, Saverys Marc (CMB, Euronav) 17, De Clerck Roger (Beaulieu) 1, Lippens (Fortis) 69.

Iles Caïman (20) : de Spoelberch (Inbev) 4, Janssen (UCB, Solvay) 1, Lippens (Fortis) 15.

Ile de Man (4) : D'Ieteren (D'Ieteren) 3, Lippens (Fortis) 1.

Iles Marshall (7) : Saverys Marc (CMB, Euronav) 5, Lippens (Fortis) 2.

Ile Maurice (2) : Frère (GDF Suez, Suez Env., Lafarge, Pernod) 1, De Nul (Jan De Nul, Sofidra) 1.

Iles Vierges Britanniques (38) : de Spoelberch (Inbev) 4, Janssen (UCB, Solvay) 1, Saverys Marc (CMB, Euronav) 1, Lippens (Fortis) 32.

Jamaïque (1) : Lhoist-Berghmans (Lhoist) 1.

Jersey (8) : de Spoelberch (Inbev) 3, D'Ieteren (D'Ieteren) 3, Lippens (Fortis) 2.

Liberia (19) : Saverys Marc (CMB, Euronav) 15, Lippens (Fortis) 4.

Luxembourg (220) : de Spoelberch (Inbev) 2 , Colruyt (Colruyt) 1 , Lhoist-Berghmans (Lhoist) 12 , Emsens (Etex, SCR-Sibelco) 27 , Frère (GDF Suez, Suez Env., Lafarge, Pernod) 2 , De Nul (Jan De Nul, Sofidra) 5 , Cigrang (Cobelfret) 26 , Boël (Sofina, Danone) 7 , Van Rompuy & Schryvers (Argenta) 1, Balcaen Filip (IVC) 1 , Janssen (UCB, Solvay) 5 , Van Gorp et Roussis (Ravago Plastics) 7 , Saverys Marc (CMB, Euronav) 3 , Bertrand Luc (Ackermans & Van Haaren) 15 , D'Ieteren (D'Ieteren) 10, Moorkens (Alcopa) 3 , Vandemoortele (Vandemoortele) 3 , Collinet (Carmeuse Holding) 2 , Van der Mersch Pierre (Brederode) 2 , Lippens (Fortis) 85, Thermote & Vanhalst (TVH) 1.

Liechtenstein (6) : Emsens (Etex, SCR-Sibelco) 1, D'Ieteren (D'Ieteren) 1, Lippens (Fortis) 4.

Malte (2) : Lippens (Fortis) 2.

Oman (1) : Lhoist-Berghmans (Lhoist) 1.

Panama (10) : de Spoelberch (Inbev) 2, Boël (Sofina, Danone) 5, Velge-Bekaert (Bekaert) 1, Lippens (Fortis) 2.

République dominicaine (1) : de Spoelberch (Inbev) 1.

Singapour (51) : de Spoelberch (Inbev) 1, Emsens (Etex, SCR-Sibelco) 5 , Frère (GDF Suez, Suez Env., Lafarge, Pernod)2, Boël (Sofina, Danone) 16, Velge-Bekaert (Bekaert) 3, Janssen (UCB, Solvay) 2, Saverys Marc (CMB, Euronav) 2, D'Ieteren (D'Ieteren) 2 , Huts Fernand et Karine (Katoen Natie, Kraenkinders) 3 , Lippens (Fortis) 14, Thermote & Vanhalst (TVH) 1.

Suisse (77) : Lhoist-Berghmans (Lhoist) 1 , Emsens (Etex, SCR-Sibelco) 7 , Frère (GDF Suez, Suez Env., Lafarge, Pernod)6, Boël (Sofina, Danone) 4, Velge-Bekaert (Bekaert) 1, Janssen (UCB, Solvay) 9 , Van Gorp et Roussis (Ravago Plastics) 3, D'Ieteren (D'Ieteren) 3, Moorkens (Alcopa) 10, Vandemoortele (Vandemoortele) 1, Duchâtelet Roland (Melexis, X-Fab, Epiq) 2 , Lippens (Fortis) 30.

Taiwan (6) : Emsens (Etex, SCR-Sibelco) 2, Velge-Bekaert (Bekaert) 1, Janssen (UCB, Solvay) 1, Lippens (Fortis) 2.

TOTAL: 785


Le comte Maurice Lippens l’emporte haut la main

Famille du top-30 Filiales dans

des fortunes (groupe) des paradis fiscaux

Lippens (Fortis)......................................................... 393

Emsens (Etex, SCR-Sibelco)......................................... 43

Saverys Marc (CMB, Euronav)...................................... 43

Boël (Sofina, Danone)................................................. 39

Janssen (UCB, Solvay)................................................ 37

de Spoelberch, de Mevius, Van Damme (Inbev)............. 32

Cigrang (Cobelfret)..................................................... 30

Velge-Bekaert (Bekaert).............................................. 27

Lhoist-Berghmans (Lhoist)........................................... 26

D'Ieteren (D'Ieteren).................................................. 25

Frère (GDF Suez, Suez Env., Lafarge, Pernod)............... 16

Bertrand Luc (Ackermans & Van Haaren)...................... 16

Moorkens (Alcopa)...................................................... 13

Van Gorp et Roussis (Ravago Plastics).......................... 10

De Nul (Jan De Nul, Sofidra).......................................... 8

Collinet (Carmeuse Holding)........................................... 5

Vandemoortele (Vandemoortele).................................... 4

Huts Fernand et Karine (Katoen Natie, Kraenkinders)....... 4

Thermote & Vanhalst (TVH)........................................... 4

Duchâtelet Roland (Melexis, X-Fab, Epiq)........................ 2

Van der Mersch Pierre (Brederode)................................ 2

Colruyt (Colruyt)........................................................... 1

Van Rompuy & Schryvers (Argenta)............................... 1

Balcaen Filip (IVC)........................................................ 1

Sarens (Sarens Bestuur)............................................... 1

De Clerck Roger (Beaulieu)........................................... 1

Haspeslagh Eduard (Hesbayefrost, Ardo Holding)............. 1

De Clercq Yves (Interparking)........................................ 0

Van Thillo Christian (De Persgroep)................................ 0

Dumolin Christian (Koramic).......................................... 0

TOTAL.................................................................... 785


Ne m’appelez plus paradis fiscal

Sur fond de crise financière, les pays riches ont déclaré la guerre aux paradis fiscaux. Pour mieux… les légitimer. La Belgique n’est pas en reste pour soutenir des pratiques qu’elle a aussi fait siennes.

Qu’est-ce qu’un paradis fiscal? Demandons plutôt: qu’était-ce qu’un paradis fiscal? En effet, l’OCDE, ce club des pays riches qui passe pour le fer de lance de la lutte contre les paradis fiscaux, a éliminé la notion de son vocabulaire.

En 2000, l’OCDE publie une liste de 35 paradis fiscaux, qu’elle menace de sanctions. Elle avance aussi quatre caractéristiques qui, sans devoir être forcément toutes réunies, fixent les contours de ce qu’est un paradis fiscal : des impôts inexistants ou insignifiants, le refus d’échanger des informations fiscales, le manque de transparence, l’absence d’activité réelle des sociétés qui y sont enregistrées.

Mais en 2001, l’OCDE substitue à cette notion de paradis fiscal une distinction entre juridictions coopératives et non coopératives. Elle ne prend donc plus en compte qu’un seul critère : le refus d’échange de certaines informations fiscales.

C’est sur cette base qu’en avril 2009, à la demande du G20, l’OCDE établit trois nouvelles listes. Une liste blanche des Etats ou territoires «qui ont mis en œuvre des standards internationaux». Surprise, on y trouve des paradis fiscaux notoires comme l’île de Man, les îles Vierges, Guernesey, Jersey, Malte ou l’île Maurice. Ben oui, pour être mentionné comme bon élève, il suffit d’avoir signé une convention d’échange d’informations fiscales avec douze autres pays.

La liste grise reprend les Etats qui se sont engagés à respecter les standards internationaux mais n’ont pas encore signé douze accords. On y trouve entre autres la Belgique ou le Luxembourg, qui vont s’empresser de signer ces accords et se trouvent donc aujourd’hui dans la liste blanche. Enfin, la liste noire reprend quatre Etats qui n’ont pas pris d’engagement, mais vont le faire immédiatement. Cette dernière liste se videra ainsi dès sa publication.

Formellement, l’action de l’OCDE est un succès. Mais les fortunés et les multinationales continuent de plus bel à pratiquer l’évasion fiscale dans ces territoires off-shore (littéralement au large, même si tous les paradis ne sont pas insulaires).

Les paradis fiscaux signent des conventions avec… les paradis fiscaux

Les conventions qu’ils ont signées ne les obligent qu’à une chose: envoyer certaines informations fiscales si un des douze états cocontractants le demande (à l’inverse des mécanismes d’échange automatique). Il faut déjà que cet état le veuille. Prenez la Belgique. Sur les douze conventions qu’elle a signées, sept l’ont été avec des paradis fiscaux: Singapour, Seychelles, Monaco, Ile de Man, Pays-Bas, Luxembourg et Saint-Marin. Vous voyez Monaco adresser une telle demande au fisc belge?

Ensuite, cette demande doit préciser l’identité de la personne suspectée de fraude ainsi que l’identité de la banque dans laquelle elle détiendrait ses avoirs. Mais comment savoir de quelle banque il s’agit si, pour le reste, l’état cocontractant applique le secret bancaire? Bref, cette procédure risque d’inquiéter 0,1% des fraudeurs.

Comme l’a indiqué un spécialiste de la question, Sven Giegold (du Tax Justice Network), à une commission parlementaire belge, «les mesures de l’OCDE et de l’Union européenne visent plutôt une "normalisation" des activités off-shore et de la concurrence fiscale que leur suppression[2]. »

Marco Van Hees


La Belgique les aime puisqu’elle en est…

La complaisance de la Belgique vis-à-vis des paradis fiscaux s’explique: elle est elle-même considérée comme telle.

And the winner is… l’état américain Delaware. La Belgique, elle, occupe une honorable 9e place, sur 60 nominés. Non, il ne s’agit pas du concours international des plus grands buveurs de bière, mais d’une étude de l’ONG Tax Justice Network. Elle vient de créer un «indice d’opacité financière», sorte d’instrument de mesure applicable aux paradis fiscaux. La Belgique y obtient un score de 73%.

En 2005, une étude de la même ONG avait déjà placé la Belgique dans une liste mondiale de 72 paradis fiscaux. Qu’est-ce qui lui vaut cet honneur? L’absence d’impôt sur la fortune, l’immunisation des plus-values boursières, le secret bancaire, les centres de coordination (ou leur substitut, les intérêts notionnels) et une série d’autres choses.

La régularisation (ou amnistie) fiscale, par exemple. Récemment, un directeur du fisc a révélé qu’elle permet le blanchiment de l’argent du crime. Une des «vertus» d’un paradis fiscal…

La Belgique est aussi complaisante à l’égard des autres paradis fiscaux. Il suffit de voir le nombre de filiales que les grandes sociétés belges y détiennent (lire ci-contre).

Le 1er février 2007, le Parlement a adopté une résolution avançant des mesures concrètes pour lutter contre les territoires off-shore. Le député Dirk Van der Maelen constate que cette résolution n’a jamais été suivie d’effet[3].

Au contraire, le cabinet du ministre des Finances va jusqu’à manœuvrer pour contourner les rares dispositions légales limitant le recours aux paradis fiscaux.

Ainsi, le code des impôts exonère les dividendes qu’une société belge reçoit de ses filiales, sauf si la filiale est située dans un paradis fiscal. Mais le cabinet Reynders a prévu un modèle de convention fiscale internationale qui déroge explicitement à cette règle. Ce qui veut dire que si la Belgique conclut une telle convention avec un paradis fiscal, les sociétés belges pourront immuniser les dividendes reçu de filiales qui, installées dans ce paradis, n’ont elles-mêmes pas été taxées.

Marco Van Hees


[1] Selon le classement 2009 établi par le journaliste Ludwig Verduyn.

[2] Chambre des Représentants et Sénat de Belgique, Le rôle des paradis fiscaux dans une économie globalisée, 8 juin 2006, p. 86.

[3] Chambre des représentants, Commission des Finances et du Budget, 5-11-2008.

[4] Selon le classement 2009 établi par le journaliste Ludwig Verduyn.

24.01.2010. 12:16

 

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