Accueil · Public-privé · Copernic : les mêmes consultants que Enron ou Lernhout & Hauspie Copernic : les mêmes consultants que Enron ou Lernhout & HauspieLe nouveau scandale financier qui touche WorldCom, n°2
des télécoms aux Etats-Unis, met en cause les mêmes consultants que ceux
d'Enron, Lernhout & Hauspie et... Copernic, le plan de réforme de
l'administration belge. Les consultants privés facturent très cher la réalisation
d'un plan qui fait entrer le privé dans le public.
Améliorer le fonctionnement de l'administration, qui
pourrait être contre? Comment éviter la bureaucratie, offrir un service
efficace à l'écoute des citoyens, remotiver les fonctionnaires? En créant des
structures qui permettent un contrôle du fonctionnement par les principaux
concernés: les usagers et les travailleurs du service public. Avec à la clé,
par exemple, la possibilité de révoquer des dirigeants qui n'accomplissent pas
leur mission comme il faut, par incompétence ou par interférence de forces extérieures
(pistons politiques, intérêts privés...).
Le plan Copernic de Van den Bossche, c'est exactement
l'inverse. Le ministre (socialiste) de la Fonction publique veut réformer les
ministères en les soumettant au maximum au privé, y compris en reprenant son
fonctionnement, sa philosophie, son jargon. C'est particulièrement frappant
pour toute la phase de lancement de Copernic, basée sur le recours à des
consultants extérieurs plutôt qu'au personnel de l'Etat.
Tout cela démotive les fonctionnaires et revient aussi très
cher. La députée Zoé Genot (Ecolo) a ainsi demandé récemment au ministre ce
que coûtait l'ensemble des mesures liées à Copernic. «Etablir une liste
exhaustive de ce que vous demandez et y allouer une somme totale est quasi irréalisable»1,
a-t-il répondu.
Pourtant, un an plus tôt, le sénateur Michel Barbeaux (CDH)
avait déjà interrogé Van den Bossche, tablant sur un coût total de 7,9 ou
8,1 milliards de FB. Le ministre avait alors rétorqué: «Les chiffres que
vous citez ne sont pas exacts. Mon estimation est différente. Je n'avancerai
pas de chiffres ici puisqu'il ne s'agit que d'une estimation et que je viens
d'entamer les négociations avec les syndicats. Je communiquerai le résultat de
mon estimation à la fin de l'année.»2 Et voilà la tâche
accomplie sans problème par le ministre pour son estimation secrète qui
devient quasi irréalisable...
Par contre, il a bien dû fournir à Zoé Genot le détail ce
qu'a coûté jusqu'ici le recours à des consultants privés. L'addition est
particulièrement salée: 24.206.441 €3, soit près d'un milliard
de FB, essentiellement pour les seules années 2000 et 2001.
Un topmanager de la Santé publique
issu de l'industrie pharmaceutique
Qui sont ces consultants? Notamment KPMG, Arthur Andersen,
Ernst & Young et Deloitte & Touche, c'est-à-dire quatre des «Big Five»
du marché mondial de la consultance. Des firmes qui ont fait leur preuves? Cela
dépend de quel point de vue on se place. C'est par exemple KPMG qui était
chargé de faire l'audit des comptes de Lernout & Hauspie... N'a-t-elle pas
vu ou a-t-elle tu la désastreuse débâcle qui allait toucher la firme d'Ypres?
Quant à Arthur Andersen, elle a été reconnue coupable d'entrave à la justice
américaine dans l'affaire de la faillite du courtier en énergie Enron. Et
WorldCom, le n°2 des télécoms US à l'origine d'un nouveau scandale, a eu
recours successivement à Arthur Andersen et KPMG.
Ces firmes facturent au contribuable 750 à 1.400 € (30.000
à 56.000FB) la journée de travail de chacun des «experts» qu'elles
emploient. Sans compter qu'elles ont à leur disposition des locaux et du
personnel de l'Etat. Comme au ministère des Finances, où 250 fonctionnaires
leur sont légués.
Tout ça pour faire quoi? Par exemple, pour recruter des
super-managers. On fait d'abord appel à un cabinet de chasseurs de têtes,
Heidrck & Strugeels, même si l'appel a aussi été lancé dans le Moniteur,
sur internet et dans les grands quotidiens (mais peut-être les méga-managers
n'ont-ils pas internet). Facture: 283.453€, plus de 11 millions de FB. Puis
vient l'«Assessment», l'évaluation des candidats. C'est la firme TMP
De Witte & Morel qui s'en charge pour 533.927€ (21 millions de FB). Pour
seulement les huit giga-managers dirigeant les comités de direction des SPF
(les anciens ministères), car il y a encore 1.117.547€ (45 millions de FB)
facturés par Quintessence Consulting pour l'«Assessment» de managers
un peu moins top.
Et bien sûr, il faudra aussi payer cette centaine de
managers remplaçant les anciens secrétaires généraux et directeurs généraux,
en plus de ces derniers, relégués dans un «cimetière d'éléphants»,
selon le groupe d'études Gerfa. Coût annuel: cinq cent millions de FB4.
Parmi ces topmanagers, celui retenu pour la Santé publique
est particulièrement représentatif de Copernic puisqu'il est issu de...
l'industrie pharmaceutique. Interpellée sur cette liaison dangereuse, Aelvoet,
ministre de la Santé (Agalev), fait valoir les compétences de l'intéressé et
le fait qu'il n'occupait pas un poste commercial chez son ancien patron5.
Nous voilà rassurés.
Parmi les dépenses, il y a aussi les «enquêtes» effectuées
auprès du personnel et de la population. La première, effectuée par E.C.W.S.
pour 705.145€ (28 millions de FB), a permis de savoir que nombre de
fonctionnaires sont démotivés. Le barman du coin aurait pu le dire pour le
prix d'une choppe. Un chiffre est révélateur, toutefois, mais n'a pas dû fort
retenir l'attention de Van den Bossche: seuls 24% estiment que la réforme en
cours pourraient les motiver. La seconde enquête a coûté 90 millions de FB
alors que 7% seulement des citoyens y ont répondu. Cher pour ce qui relevait
essentiellement d'une grossière opération de propagande pro-Copernic.
La déontologie des fonctionnaires
conçue par une firme privée
Autre instrument de propagande, assez intelligemment (et
luxueusement) réalisé, Fédra, «le magazine du fonctionnaire», facturé
771.894€ (31 millions de FB) par la firme F-2, rien que pour l'année 2001.
Les sociétés TV Accenture, PWHC, KPMG et EurO&M se sont
elles chargées de réaliser un nouvel organigramme pour les administrations fédérales.
Elles y ont sans doute mis un certain temps, mais ont encaissé la bagatelle de
12.529.778€, soit plus d'un demi-milliard de FB.
Concevoir un code déontologique pour les fonctionnaires,
c'est aussi une firme privée qui s'en charge, Kate Thomas & Kleyn, il est
vrai pour seulement 57.950€ (2 millions de FB). Et dans les dépenses à
venir, la firme Accenture a décroché le gros lot pour réaliser et maintenir
cinq ans un portail internet de l'administration. Accord conclu pour
56.250.000€ (2,25 milliards de FB).
Bref, non seulement c'est le privé qui dirige de facto la réforme
de l'administration, mais encore est-il très chèrement payé pour le faire.
Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 2 juillet 2002
1 Chambre, 8/5/02 ·2
Sénat, 26/4/01 · 3 Chambre, 8/5/02, pour la plupart des chiffres ·4
Gerfa, communiqué du 6/2/02 · 5 Sénat, 25/4/02.
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