Accueil · Pouvoirs · Ordre des médecins : 4 millions € pour des "tasses de bières" ? Ordre des médecins : 4 millions € pour des "tasses de bières" ?Des médecins sont poursuivis en
justice car ils refusent de cotiser à l’Ordre des médecins. Comment celui-ci
utilise-t-il l’argent des cotisations? Enquête.
«Docteur, savez-vous à quoi l’Ordre des médecins
utilise la cotisation que vous lui versez?» Posez la question
à votre médecin et vous aurez sans doute la même réponse que celle que nous
avons reçue: «Aucune idée...» Cette interrogation,
nous l’avons également soumise à des parlementaires et médecins qui
planchent sur des projets de réforme de l’Ordre. Des spécialistes du sujet,
donc. «Bonne question...», nous répondent-ils sans pouvoir
en dire plus.
L’Ordre des médecins a été créé par la loi du 25
juillet 1938. Il est chargé de «veiller au respect des règles de la
déontologie médicale et au maintien de l’honneur, de la discrétion, de la
probité et de la dignité des membres de l’Ordre.» Une sorte de
police des médecins, donc. Sur son site internet, on tombe rapidement sur une
page précisant que les médecins ont l’obligation légale de payer la
cotisation. Par contre, on n’y trouve aucune indication sur ses comptes.
Nous décidons donc de contacter les dirigeants de
l’institution et parvenons à joindre par téléphone un de ses deux vice-présidents
nationaux, le Dr Marc Nollevaux. L’entretien débute normalement, mais notre
interlocuteur devient rapidement nerveux. «Je m’étonne tout de même
de vos questions. Cela concerne la vie privée...
– Les comptes de l’Ordre sont-ils soumis à des contrôles
fiscaux.
– Mais oui, que croyez-vous? On ne prend pas
l’argent pour le boire... L’Ordre est une institution de droit public dont
le fonctionnement est sévère.
– Pouvez-vous nous dire en gros comment est utilisé
l’argent?
– À payer le personnel, d’abord. Il y a quinze employés
au niveau national et sept à huit employés par province. Et puis, il y a les
locations du café...
– Pardon?
– Pour boire de temps en temps une tasse de bière [sic]...
– Euh... Y a-t-il une instance qui contrôle les comptes?
La Cour de comptes peut-être?
– Je suppose... Ecoutez, je suis excessivement mécontent
de vos questions. Je vais mettre fin à cet entretien...» Tuuuut.
Nous n’en saurons pas plus. Pourtant, nous avions des éclaircissements
à lui demander. D’après ce qu’il nous dit, l’Ordre compte au total
environ 90 employés. Selon les informations que nous avons pu obtenir, il y a
bien quinze employés au conseil national de l’Ordre, mais certains conseils
provinciaux n’en comptent que 2 ou 4. Admettons pourtant son chiffre de 90.
Cela correspond à une charge salariale de quelque 3 millions d’euros. Mais
les recettes de l’Ordre sont beaucoup plus importantes...
La cotisation annuelle varie de 150 à 200 euros par an,
selon les provinces. Si l’on compte une cotisation moyenne de 175 euros,
multipliée par les 40000 médecins du pays, on arrive à une recette de 7
millions d’euros. Après avoir retiré les salaires, il reste encore 4
millions d’euros (160 millions de francs).
Que fait l’Ordre avec tout cet argent? Ses fonctions
consistent à prendre des décisions, donner des avis, répondre au courrier...
Cela entraîne, outre les frais de personnel, de menus frais de bureaux:
ordinateurs, papiers, timbres... Pas que quoi engloutir 4millions.
Il y a aussi les locaux professionnels. Mais d’après nos
informations, l’Ordre est propriétaire de son siège national (le prestigieux
bâtiment de la place de Jamblinne de Meux, à Schaerbeek) et de ses sièges
provinciaux. L’institution ayant 60 ans d’âge, ses immeubles sont
certainement payés depuis longtemps.
Peut-être l’Ordre investit-il une partie de ses rentrées
dans des placements financiers. Mais dans ce cas, cela lui rapporterait des intérêts
ou dividendes. Ses revenus annuels seraient donc encore plus importants que
mentionnés plus haut.
Bref, à ce stade de notre enquête, nous sommes obligés de
le constater: nous n’avons pas de réponse à notre interrogation de départ.
Beaucoup de médecins progressistes rechignent à payer des cotisations à
l’Ordre car ils ne partagent pas du tout ses orientations politiques (lire
ci-contre). Comme si cela ne suffisait pas, il s’avère que l’utilisation même
de ces cotisations est enveloppée d’un épais mystère. Sans doute est-ce lié
à la philosophie aristocratique de l’Ordre, dont les dirigeants, se sentant
investis d’un pouvoir supérieur, estiment n’avoir aucun compte à rendre.
Dr Michel Roland : «L’Ordrene
défend pas l’intérêt des patients»
Médecin généraliste et enseignant (ULB), Michel Roland
est très critique à propos de l’Ordre des médecins.
Michel Roland. L’Ordre des médecins est une sorte
de tribunal d’exception. On m’a soumis le cas d’une erreur médicale très
grave, à l’issue fatale. L’époux de la victime a décidé de saisir
l’Ordre des médecins. Je lui ai dit qu’il pouvait le faire, mais que tout
ce qu’il recevrait, c’est une lettre indiquant: «Nous avons
bien enregistré votre plainte.» Si un ingénieur fait une erreur, les
victimes peuvent saisir le tribunal, lequel fera appel à des ingénieurs
experts. Il n’y a pas un Ordre des ingénieurs. En faut-il un pour les médecins?
Selon moi, soit il ne faut pas d’Ordre du tout, soit il
faut une structure professionnelle ouverte à des non-médecins, avec publicité
des débats, publicité des jugements et instructions par des tiers. Mais pas
cette institution archaïque, avec leurs robes du Moyen Âge. Depuis
l’avortement, l’Ordre des médecins a toujours été du mauvais côté. Il
condamne le médecin qui fait payer trop peu aux patients, jamais celui qui
demande de trop. Il faut supprimer ce bazar!
Dr Jan Keijzer : «Supprimons
l’obligation de cotiser à l’Ordre»
Ce généraliste de Médecine pour le Peuple-La Louvière
a été condamné pour ne pas avoir payé ses cotisations.
Jan Keijzer. L’Ordre mène actuellement des procès
contre plusieurs médecins de Médecine pour le Peuple: ceux des centres
de Molenbeek, Marcinelle et La Louvière. Celui de Zelzate est aussi à nouveau
dans son collimateur. À La Louvière, le juge des saisies a même autorisé
l’Ordre à saisir les meubles et les comptes de l’asbl.
Pour moi, il faut supprimer l’obligation d’adhérer et de
cotiser à l’Ordre. D’abord parce qu’il défend la médecine du fric.
Quand j’ai commencéà La Louvière, j’ai subi une procédure
disciplinaire interne parce que je pratiquais la médecine gratuite, considérée
comme «concurrence déloyale».
Ensuite, parce que les compétences de l’Ordre ont été
fortement réduites avec la loi sur le droit des patients, les généralisation
des médiateurs dans les hôpitaux, la dépénalisation de l’avortement et de
l’euthanasie, la création d’un comité de bio-éthique... Autant de
domaines dans lesquels l’Ordre intervenait (mal) auparavant. L’Ordre n’a
plus d’utilité.
Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 14 février 2007
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