Sur le tapis rouge des escaliers d’entrée, on se
croirait au Festival de Cannes. Les flashs crépitent dès que surgit un couple
de parfaits mais riches inconnus, sapés comme des princes et des princesses. Il
est vrai que l’invitation précisait qu’ « il serait hautement apprécié
que vous respectiez le code vestimentaire de la soirée », à savoir « black
tie ».
Perché sur l’avant-dernière marche, l’organisateur de
la Foire des millionnaires, le Néerlandais Yves Gijrath, observe l’arrivée
des convives à cette seconde édition belge d’un événement qui, depuis
2002, se décline à Amsterdam, Shanghai, Moscou ou – justement – Cannes.
Didactique, le bourgmestre de Courtrai, Stefaan De Clerck (CD&V), lui énumère
en aparté qui sont ces hurluberlus déguisés en Robin des Bois qui manifestent
bruyamment. « Il y a les marxistes-léninistes du PTB, l’ancien Amada, les
trotskistes, les anarchistes… »
Après avoir franchi un détecteur de métaux qui retentit
sans donner lieu au moindre contrôle, on pénètre dans un monde dont la
semi-obscurité ne fait que mieux ressortir le clinquant. Difficile de trouver
un stand où le champagne ne coule pas à flot. Certains exposants n’ont pas hésité
à reconstituer une parcelle de green de golf ou tout l’intérieur d’une
maison, où un tigre empaillé trône dans le corridor. Quand on sait qu’un
minuscule stand de 25 m2 coûte déjà 15 000 euros pour les trois jours…
« Trois cent mille euros ? C’est incroyablement bon
marché... »
En réalité, je vous le dis, ces millionnaires sont des
gens comme vous et moi. Ben oui… Moi aussi je détiens un téléphone
portable. Pas en or, c’est vrai. Moi aussi, je suis possède une voiture. Même
si le prix de ma Peugeot 106 d’occasion affichait quelques zéros de moins que
la Bentley qui vous aguiche outrageusement à l’entrée. Moi aussi, il
m’arrive d’aller en vacances. Sans pour autant, certes, acheter une villa
sur une île artificielle de Dubaï. Moi aussi, je prends parfois l’avion.
Mais généralement j’achète un billet low cost chez Ryanair plutôt que de
louer un jet privé.
Moi aussi, je ne crache pas sur une petite bouteille de
vin. Qu’y puis-je si, chez Aldi, on ne trouve pas de bourgogne à 12 500
euros. Moi aussi, j’ai une jolie mappemonde à la maison. Bien sûr, elle est
en plastique, n’a pas ses 300 ans d’âge certifiés et n’a pas coûté 190
000 euros (je comprends pourquoi il était inscrit dessus : do not touch,
please).
Question bijoux, j’en conviens, ma femme me trouve un
peu… économe. Pourtant, il y avait des offres très intéressantes à saisir,
selon ces propos entendus au stand d’un joaillier : « Trois cent mille euros,
à peine ? C’est incroyablement bon marché. » Le vendeur confiera plus tard
: « Ne vous y fiez pas, cet homme mal habillé est un très riche homme
d’affaires français à la retraite. Son nom ? Confidentiel. Il vit en
Belgique. Vous savez… pour fuir l’ISF [impôt de solidarité sur la
fortune]. Quelle chance que Nicolas Sarkozy ait été élu président… »
Sur le même ton conspirateur, une exposante française
explique qu’un de ses collègues a fait l’objet d’un contrôle du fisc
français parce qu’une caméra de télévision avait attesté sa présence à
une foire du même genre. « Heureusement, en Belgique, c’est différent »,
conclut-elle. C’est vrai que le ciel gris de notre plat pays cache un paradis
fiscal pour riches où plus d’un fortuné s’est perdu.
Je ramènerais bien un souvenir à Roxanne, ma belle-fille de 16 ans. Elle rêvait de m’accompagner. La fontaine à chocolat ? Amusant, mais un peu kitch. D’autant qu’on peut la louer un soir pour 1 370 euros. Ce piano à queue dont l’électronique commande mécaniquement les touches ? C’est ça, pour qu’elle arrête les cours de musique. Pourquoi pas cette petite Ferrari électrique décapotable, qui grimpe jusqu’à 30 km/heure. Comme les foires successives ont un peu terni son verni rouge, le vendeur me la fait à 80 000 euros, au lieu de 95 000, prix catalogue. C’est donné.
Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 30-05-2007