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Enquête : l'argent de la famille royale

L’enrichissement personnel que le prince Laurent a tiré des fraudes de la marine belge fait beaucoup de bruit. Il y a de quoi. Mais cet arbre ne doit pas cacher la forêt : la famille royale fait partie des plus riches familles de Belgique. Enquête.

Quand le jardin du roi faisait 77 fois la Belgique

Les origines de la fortune de la famille royale passent par le Congo et la Société générale.

Léopold Ier, premier roi des Belges, était issu de la noblesse allemande désargentée, mais son mariage avec une héritière du trône britannique lui apporta une jolie dot. Celle-ci sera investie dans des terres et dans des actions de la Société générale de Belgique, qui sera pendant plus d’un siècle et demi le plus puissant holding du pays. Et dans lequel la famille royale sera toujours représentée.

La monarchie, héritée du Moyen-Âge, est un anachronisme à l’époque du capitalisme. Mais ce dernier n’a pas eu de problème à s’associer aux têtes couronnées. Et vice-versa, puisque la famille royale est devenue elle-même un actif représentant du capitalisme belge.

Léopold II, en particulier, poussera très loin la pratique de l’accumulation du capital. Entre 1895 et 1908, le Congo sera sa propriété personnelle, avant de devenir une colonie belge. Grâce à l’exploitation du Congo, l’enrichissement du roi sera colossal. Le nombre de Congolais morts à cause de cette exploitation également. Dans le documentaire britannique Roi blanc, caoutchouc rouge, mort noire, le professeur congolais Elikia Mbokolo indique qu’en 1920, dix millions de Congolais avaient disparu des statistiques.

Via de hauts représentants de la noblesse, proches du Palais, les successeurs de Léopold II vont pointer des antennes dans les sociétés les plus importantes du pays. La Société générale, bien sûr, mais aussi Brufina, la Banque de Bruxelles, l’Union minière, la Compagnie maritime belge, Cockerill... Toutes ces entreprises, d’ailleurs, entretenaient de nombreux liens entre-elles.

La famille royale a également placé d’importants avoirs financiers à l’étranger. Et sans doute d’autant plus à partir de 1988, lorsque la Société générale est passée sous la coupe du groupe français Suez. Mais selon les aveux mêmes de la reine Fabiola, en 1961 déjà, son époux Baudouin avait placé 350 000 dollars aux Etats-Unis.

En 1995, la fédération patronale FEB fête ses 100 ans. Le roi Albert II est supposé n’y passer qu’une demi-heure, mais il y reste scotché bien plus longtemps. Rien d’étonnant puisqu’il y est avec ses pairs. Deux chefs d’entreprise de premier plan, le baron Paul Buysse (Bekaert) et le baron Georges Jacobs (UCB), président honoraire de la FEB, ne sont-ils pas des conseillers de la famille royale ? D’ailleurs, on retrouve le prince Lorenz, mari de la princesse Astrid, dans le conseil d’administration d’UCB. Issu de la riche famille des Habsbourg, il a lui-même fait toute sa carrière dans la finance, notamment à Cobepa.

La famille royale à l’abri du besoin

Fortune personnelle (estimation)

300 millions €

Valeur de la Donation royale (estimation)

450 millions €

Dotation 2007 du roi Albert II

9 542 000 €

Dotation 2007 de la reine Fabiola

1 444 000 €

Dotation 2007 du prince Philippe

924 000 €

Dotation 2007 de la princesse Astrid

320 000 €

Dotation 2007 du Prince Laurent

312 000 €

Le patrimoine de la Donation royale

En 1900, à la fin de sa vie, le roi Léopold II veut éviter que son immense patrimoine immobilier (maisons, châteaux, parcs, bois, terres) ne soit éparpillé par ses successeurs. Il en fait don à l’Etat, mais pose trois conditions qui font que ce don n’en est pas vraiment un : les territoires et bâtiments ne pourront jamais être vendus, ils doivent pour certains garder leur fonction et leur aspect d’origine et être à la disposition des successeurs au trône.

Aujourd’hui, la Donation royale est une institution publique autonome, dont le conseil d’administration est composé de responsables du Palais, de fonctionnaires du ministère des Finances et de banquiers (comme le baron Narmon, de Dexia). A part pour la gestion des biens accessibles au public, cette institution est financièrement indépendante : ses rentrées viennent de la mise en location d’une partie de son patrimoine immobilier et de placements financiers.

En 2005, les recettes ordinaires se sont élevées à 12,69 millions d’euros (63 % de loyers, 26 % de revenus du portefeuille, 4 % de fermages de chasse et pêche, 6 % de produits des bois, 1 % de recettes diverses). Il faut y ajouter 5,68 millions de recettes extraordinaires, ce qui fait un total de 18,37 millions.

• Patrimoine financier : 30 millions d’euros constitué d’actions, d’obligations d’Etat, de liquidités et placements à court terme.

• Propriétés dont la famille royale a la jouissance effective : châteaux de Ciergnon, de Fenffe et de Villers-sur-Lesse, château du Belvédère, château et résidence au Stuyvenberg, serres de Laeken, villa Clémentine à Tervuren.

• Droit de chasse : en vertu de la loi du 28 février 1882, le droit de chasse a été réservé à la Couronne sur les biens du domaine d’Ardenne (6700 hectares).

• Propriétés ayant une autre affectation : château de Ferage (loué), château de Val Duchesse (loué comme guest-house pour l’Etat).

• Propriétés dont le personnel de la famille royale fait usage : diverses habitations à Laeken et en Ardenne.

• Propriétés ayant reçu une affectation d’intérêt général : la Tour japonaise, le Pavillon chinois, le Parc Elisabeth et le Jardin colonial à Laeken, l’Hôtel Bellevue à Bruxelles, l’Arboretum de Tervuren, le Parc Duden à Forest, les terrains incorporés au Parc Marie-Henriette à Oostende, les terrains incorporés au Parc Leopold II à Nieuwpoort.

• Propriétés mises en location pour générer des revenus :

- Ardenne : 1 550 hectares de terrains agricoles, 4 200 hectares de terres et bois, terrain de golf dans le parc de l’ancien Château d’Ardenne).

- Tervuren : golf et Château de Ravenstein, terrains de la British School of Brussels.

- Postel : 500 hectares de bois.

- Côte : L’ancienne villa royale, avec les galeries et le parc environnant à Oostende; terrains incorporés à l’hippodrome Wellington à Oostende; les bâtiments dénommés écuries norvégiennes à Oostende; la “première” résidence royale située Langestraat à Oostende; golf de Klemskerke.

- Bruxelles et environs : Parc Duden à Forest : château (Inraci) et stade (Royale Union); étangs de Boitsfort; installations du Royal Yacht Club de Bruxelles à Laeken; terrains du centre sportif du Ministère des Finances « Inter Nos » à Strombeek-Bever; le cinéma Vendôme à Ixelles; les immeubles de bureaux Coudenberg, Jean Jacobs et Quatre Bras à Bruxelles.

Les deux faces d’une grosse fortune

La fortune de la famille royale est double : la fortune personnelle et la Donation royale, héritée de Léopold II.

A combien s’élève la fortune de la famille royale ? Ces dernières années, divers chiffres, assez divergents, ont été avancés. Ceux des magazines étrangers sont les plus élevés : 2,255 milliards d’euros selon Eurobusiness (1999), 2,2 milliards selon Capital (2004). En Belgique, l’étude de Ludwig Verduyn, Nos deux cents familles les plus riches (2000) place la famille royale à la 23e place avec un patrimoine de 12 milliards de francs (300 millions d’euros). L’ouvrage de Gui Polspeol et Pol Van den Driessche, Koning en onderkoning (2001) mentionne ce même montant. Les deux livres se basent sur la révélation du journaliste Rik van Cauwelaert, de l’hebdomadaire Knack : sur base d’une source « digne de confiance », celui-ci avance que le roi Baudouin a laissé une succession de 12 milliards à sa mort, en 1993.

Fait exceptionnel, le Palais va réagir à ces publications. Son communiqué va même donner des indications chiffrées : « Le Palais royal tient à démentir formellement ce chiffre de 10 milliards de francs. La fortune personnelle du Roi se compose essentiellement d’une propriété immobilière sise à Châteauneuf de Grasse, d’un yacht dénommé Alpa et d’un capital financier qui n’atteint même pas le vingtième du montant publié. »

Un vingtième de dix milliards, c’est 500 millions de francs, soit 12,5 millions d’euros. Une affirmation à laquelle ne croit pas Ludwig Verduyn. « C’est sous-estimé, nous dit-il. La famille royale était parmi les plus importants actionnaires de la Société générale. Ses avoirs étaient gérés depuis Londres et Paris par la banque Lazard. »

Entre les gros 2,2 milliards d’euros lancés par Eurobusiness et les modestes 12,5 millions d’euros avancés du Palais, nous pensons effectivement que le chiffre de 300 millions d’euros est le plus réaliste. Verduyn nous précise qu’il s’agit de la fortune personnelle de la famille royale et non de la Donation royale.

Cette dernière, composée d’un nombre impressionnant de propriétés léguées par Léopold II (lire ci-contre) pourrait avoir une valeur de 450 millions d’euros, selon Le Soir Magazine (3-11-2004). Faut-il la considérer comme faisant également partie de la fortune royale ? Oui, selon Lucas Catherine, auteur de Léopold II - La folie des grandeurs. Car si, formellement, le souverain a légué ces propriétés à l’Etat, les conditions qu’il y a jointes font que dans les faits, elles restent dans le patrimoine monarchique. En effet, ces biens ne peuvent être cédés et ils restent à la disposition gracieuse de la famille royale.

Imaginez qu’un collègue vous dise : « Je te fais don de ma maison, mais ni toi ni tes descendants ne pourront la vendre et ma famille l’occupera aussi éternellement que gratuitement ». Qui considèrerez-vous comme le vrai propriétaire de cette demeure ?

En additionnant la fortune personnelle et la donation royale, le patrimoine de la famille royale pourrait donc atteindre 750 millions d’euros. Dans le dernier classement des fortunes belges établi par Trends-Tendances (5-10-2006), cela placerait les de Saxe Cobourg Gotha à la quinzième place, entre la famille D’Ieteren et la famille Delhaize. Malgré cette immense fortune, la famille royale reçoit chaque année 12 millions d’euros des contribuables sous forme de dotation. Sans compter d’autres frais, comme la protection policière des membres de la famille, dont le coût atteint 13,5 millions d’euros par an. Tout cela est-il bien normal ?

Après Otto de Habsbourg, le prince Autos de Belgique

« S’il n’a pas dépensé mille euros sur sa journée, il en est malade. » C’est la géomètre Claire Coombs qui a, à travers cette confidence à une proche, prend ainsi la mesure des emplettes de son époux, le prince Laurent. Celui-ci a longtemps donné l’image d’une personne simple, proche des gens. Aujourd’hui, sa relative spontanéité, qui contraste avec l’attitude coincée du reste de la famille, ne fait plus illusion : le fils cadet d’Albert n’est pas moins imbu de sa personne, ni moins jaloux de ses privilèges. Et certainement pas moins avide de richesses.

Le colonel Vaessen, conseiller du prince de 1993 à 1999, rapporte que Laurent avait la prétention de devenir milliardaire en dollars. Jusqu’ici, il est vrai, il s’est plus distingué pour dépenser l’argent que pour le gagner. Autant dire qu’il avait des prédispositions pour se laisser arroser à l’insu de son plein gré par les fonds marins.

Son parc automobile, par exemple, est impressionnant : deux Porsche Cayenne, une Porsche 911, une Smart (pour sa femme), une Mercedes et une Ferrari (qui, selon certains, aurait été troquée contre une Subaru Impreza). Des bolides auxquels il voue une telle attention quotidienne qu’on pourrait croire qu’ils comptent plus que ses enfants – il pourrait essayer de vendre à la presse des photos inédites de ses jumelles Cayenne.

Autre image qui a fait long feu, celle d’un Laurent défenseur de l’environnement et des animaux. Car il est apparu que la Fondation prince Laurent n’avait été conçue, par le Palais et le gouvernement, que pour offrir à l’intéressé (c’est le cas de le dire) une rémunération mensuelle brute d’un million de francs (25 000 euros). En 2001, Laurent va finalement obtenir une dotation publique du même montant, mais exempté d’impôts. Exempté d’impôts, mais payée avec nos impôts.

Choquant ? Pas un peu. Mais pas exceptionnel. Car finalement, qu’est-ce qui caractérise les membres de la famille royale ? Ils ne doivent leurs privilèges qu’à leur naissance, ils sont riches et ils reçoivent en plus des cadeaux de l’Etat. Seulement, on peut en dire autant de tous les capitalistes. Ils naissent le cul dans les actions et reçoivent toutes sortes d’aides du gouvernement : réductions de cotisations patronales, exonération des gains en Bourse, non-taxation de la fortune, centres de coordination, intérêts notionnels, etc.

Ne serait-il pas temps de revoir tous ces privilèges ? Ceux du roi Albert II de Belgique comme ceux du baron Albert Frère de Gerpinnes...

Marco Van Hees

Publié dans Solidaire le 17-01-2007

17.07.2008. 22:42

 

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