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Devons-nous payer pour les milliardaires pollueurs?

La Région wallonne va dépenser 150 millions d'euros pour assainir ses quinze friches industrielles les plus polluées. Aux frais des pollueurs ou des pollués? Visite guidée de deux de ces sites.

L'Union chimique belge (UCB) n'a-t-elle jamais imaginé de produire un médicament pour les consommateurs d'eau polluée? La multinationale, aujourd'hui entièrement orientée pharmacie, risquerait ainsi d'avoir pour clients les riverains de son ancienne usine située à la frontière de Ville-sur-Haine (Le Roeulx) et de Havré (Mons). Développée à la fin des années 20, celle-ci va se spécialiser dans le traitement du benzol et des goudrons. Lorsque les activités cessent, en 1985, les bâtiments sont démolis et le site cédé à différents propriétaires.

Cela fait qu'aujourd'hui, on trouve un peu de tout sur ces 24 hectares: une zone en partie boisée où sont stockés des arbres abattus, un carrossier amassant des voitures accidentées, un grossiste en boissons, un ancien car-wash et même une exploitation agricole, des habitations et un centre d'hébergement pour enfants.

Pas ragoûtant quand on connaît l'ampleur de la pollution. La Spaque (Société publique d'aide à la qualité de l'environnement) note que «le sous-sol du site est fortement pollué, tant au niveau du sol que des eaux souterraines, en de nombreuses substances (principalement en hydrocarbures aromatiques monocycliques, hydrocarbures aromatiques polycycliques, huiles minérales et plus ponctuellement en métaux lourds, cyanures et phénols)1». Cette pollution a même un impact pour la Haine, la rivière qui a donné son nom au Hainaut.

Le port d'un masque est conseillé

Cap sur Houdeng (La Louvière), pour notre second site pollué, la Safea. Une usine peu connue, mais qui cartonne sur les sites internet dédiés aux photos de friches industrielles. L'endroit, il est vrai, est magique. Les beaux restes de la «Société anonyme de fabrication des engrais azotés» s'étendent sur 17 hectares juste à côté de l'ascenseur à bateau n°1 du vieux canal du Centre. Des bâtiments énormes et vides se succèdent. A l'intérieur, un empire de couleurs illuminé par les rayons de soleil auxquels les toits ont, à la longue, octroyé quelques passe-droits. Car, les calendriers en attestent, le temps ici s'est arrêté en 1978. A côté de gros instruments insolites et de flacons à l'allure redoutable, un logo omniprésent: la tête de mort.

Il est vrai que l'usine chimique ne produisait pas de la barbe à papa. Les balises installées par la firme qui a commencé à réhabiliter le site sont claires: amiante par-ci, ferrocyanurepar-là, zone où il vous est conseillé de porter un masque... Le site internet walsols.be pointe également la présence d'hydrocarbures, huiles minérales, goudrons, sulfates, ammonium...

La Safea est constituée en 1929 par les Usines Gustave Boël (UGB) et l'Union chimique belge (UCB). C'est-à-dire les entreprises phares des riches familles Boël et des Janssen (lire ci-dessous). Elle fournit des engrais à partir de l'hydrogène produit par les fours à coke des UGB, toutes proches. Pendant la Deuxième guerre mondiale, elle fabrique même de l'acide nitrique pour la fabrication d'explosifs (!). Quand on aime (le profit), on ne compte pas (les morts)...

La Spaque: «Demandez à la Région»

La Région: «Demandez à la Spaque»

La Spaque (Société publique d'aide à la qualité de l'environnement) est chargée de réhabiliter les sites pollués. Nous avons contacté son attachée de presse et lui avons demandé si, dans le cas précis de la Safea et UCB, la Spaque comptait entreprendre des démarches afin de faire appliquer le principe du pollueur payeur.

En visant les anciens propriétaires: le groupe UCB, la famille Janssen, la famille Boël. «Cela, c'est la compétence de la Région wallonne», nous a-t-elle répondu. Nous avons donc contacté le cabinet du ministre de l'Environnement, Benoît Lutgen (CdH). Réponsedu cabinet: «Pour cela, adressez-vous à la Spaque...» Nous avons insisté: impossible d'obtenir une réponse.

A l'usine UCB comme à la Safea, tant que l'activité rapportait, les actionnaires faisaient remonter les bénéfices vers leurs holdings. Lorsque la rentabilité n'a plus été suffisante, ils ont laissé à la collectivité le soin de prendre en charge le personnel licencié et le site pollué. UCB a même refusé à la Spaque l'accès à ses archives.

Le cas de la Safea est typique. L'usine ferme en 1978. Vers 1988, le site est racheté par les Usines Gustave Boël, elles-mêmes reprises par Duferco en 1999. Ces ruines polluées vont ensuite être... achetées à Duferco par la Spaque. Vous lisez bien: la société publique paye pour acquérir un site afin de pouvoir ensuite le dépolluer à hauteur de dix millions d'euros (0,4 milliard de francs). Puis en faire un zoning industriel qui doit attirer de nouveaux investisseurs privés (futurs pollueurs pas payeurs?). Tout cela avec l'argent du Plan Marshall d'Elio Di Rupo. Enfin, c'est le plan qui est de Di Rupo. L'argent, c'est le nôtre...

La famille Boël

Selon le classement 2005 de Trends-Tendances[1], les Boël arrivent en 12e position des familles les plus riches de Belgique. Gustave Boël est devenu propriétaire en 1880 des usines sidérurgiques qui allait porter son nom et permettre à ses descendants, trois générations plus tard, d'accumuler 818 millions d'euros. Mais depuis, ils se sont débarrassés de tous leurs avoirs industriels. Ils se contentent de gérer leurs holdings Sofina, UFB, SPI, Henex, etc. «L'Etat est généreux. Les gens ont la vie facile»[2], aime répéter le comte Pol Boël, patriarche de la famille et ancien sénateur libéral. Celui qui fut président et administrateur délégué de la Safea sait de quoi il parle...

La famille Janssen

Avec leurs 1,2 milliard d'euros, les Janssen arrivent deux places devant les Boël dans le classement des plus riches familles. Mais à vrai dire, ils sont eux-mêmes des Boël: ils comptent à la fois Ernest Solvay et Gustave Boël parmi leurs ancêtres. Les Janssen ont des participations dans les groupes Solvay et Boël mais, surtout, ils contrôlent l'Union chimique belge (UCB), fondée en 1928 par Emmanuel Janssen (et dont les Boël ont également été actionnaires). Axée au départ sur la chimie, cette multinationale présente dans quarante pays se concentre depuis sur la production pharmaceutique. La réhabilitation des quinze sites wallons les plus pollués va coûter 150 millions d'euros. Soit 10 millions par site. Une facture de 20 millions, donc, pour les sites Safea et UCB. Un centième de la fortune cumulée des Boël et des Janssen.

Marco Van Hees

Publié dans Solidaire le 22-02-2006



[1] Trends-Tendances, 1-9-2005 ·

[2] Trends-Tendances, 19-5-2005.

16.07.2008. 15:48

 

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