Accueil · Finance · Trois scénarios pour Fortis Trois scénarios pour FortisL’assemblée
générale des actionnaires de Fortis a rejeté la vente de Fortis Banque à
l’État (et donc à BNP-Paribas). Mais tous les schémas restent possibles.
Ils se résument à trois grands scénarios.
A-t-on vécu un nouveau drame du Heysel, ce 11 février, à l’assemblée
des actionnaires de Fortis Holding? Pour le gouvernement, certainement:
l’assemblée exprime la faillite d’une politique faite de mensonges et
manipulations - la dernière étant la tentative du ministre Reynders de
faire voter 125 millions d’actions… sans droit de vote (lire les carnets de
Mahé, p. 19). Sur le fond, par contre, rien n’est résolu. Rien n’est joué,
non plus. Voici les scénarios possibles.
1. Fortis cédé à une banque privée
• Scénario. L’assemblée
des actionnaires a rejeté la vente de Fortis Banque à BNP-Paribas. Le
gouvernement peut donc difficilement revenir avec ce schéma tel quel
(quoique…). Il pourrait, par contre, renégocier soit avec BNP-Paribas, soit
avec un autre partenaire privé, pour céder la banque à un prix renégocié.
Quant aux assurances, elles formeraient vraisemblablement un groupe privé belge
à l’image de l’ancienne compagnie AG… de Maurice Lippens.
• Coût social. «En
cas de cession à BNP-Paribas, avez-vous des garanties pour l’emploi?»,
demande Jean-Michel Cappoen (Setca) à l’assemblée des actionnaires. La réponsed’un
administrateur fait sursauter: c’est à BNP-Paribas qu’il faut poser
la question. En fait, il ne faut même pas la poser: les 500 millions
d’euros/an de synergies prévues par la banque française annoncent clairement
un bain de sang social. Dans les services centraux de Fortis, mais aussi, par
effet de chaise musicale, dans les agences.
• Coût financier. Après
le vote négatif de l’assemblée, le gouvernement a déclaré que ça allait
coûter cher au contribuable. Comme si les 14,9 milliards injectés par l’Etat
dans Fortis, ça ne coûtait pas au contribuable? Vous saisissez bien
l’absurdité: l’Etat met 14,9 milliards alors que la valeur de boursière
du holding n’atteint même pas 3 milliards d’euros et qu’il veut, en plus,
céder les plus morceaux à des groupes privés.
• Partisans. Reynders
(toujours soutenu par l’ensemble de ses partenaires gouvernementaux) est
l’architecte de ce scénario. Après la décision de laisser les assurances
dans le holding, une partie des actionnaires ont à leur tour estimé que cette
voie était celle qui leur rapporterait le plus (ou celle où ils perdraient le
moins). C’est le cas, par exemple, du holding Bois Sauvage.
2. Fortis privée en solo
• Scénario.
L’avocat Mischaël Modrikamen défend le scénario suivant: Fortis
Holding récupère une partie (25%) des actions de Fortis Banque détenues
par l’Etat pour compenser le trop bas prix de l’acquisition par la SFPI. À
moyen terme, le holding rachèterait une plus grand partie (50%) de la
banque. Il récupérerait aussi les assurances, voire la banque, acquises par
les Pays-Bas, mais pas ABN-Amro. Fortis poursuivrait ainsi ses activités en stand
aloneavec l’espoir que les perspectives de bénéfices fassent
remonter le cours de l’action.
• Coût social.
Comme la perspective centrale est de créer de la valeur pour les actionnaires,
on peut s’attendre à une contraction maximale des coûts de personnel, donc
de l’emploi.
• Coût financier.
Ce qui est frappant dans le schéma de Modrikamen, c’est que l’Etat
s’adapte entièrement aux intérêts des actionnaires. Il ne veut de Fortis
Bank Nerderland que moyennant des garanties de l’Etat néerlandais sur les
liquidités bancaires. Il estime donc que celles de l’Etat belge sont
d’office acquises pour Fortis Bank Belgique. Et l’Etat reste co-actionnaire
le temps qui convient aux actionnaires privés. C’est un partenariat
public-privé bien compris: les risques et coûts pour l’Etat, les bénéfices
pour le privé.
• Partisans. On
peut supposer qu’une partie de la courte majorité des actionnaires présents
à l’assemblée partage la vision de Modrikamen. Quoique le fait de voter
contre la cession de Fortis banque à BNP-Paribas signifie seulement un refus de
la céder au (bas) prix convenu.
3.
Fortis banque publique
• Scénario. Pour
éviter tout contentieux judiciaire, le Parlement vote une loi pour nationaliser
les activités de banque et d’assurances de Fortis en Belgique, ainsi que les
50% que Fortis détient dans la banque de la Poste. Les Pays-Bas gardent
Fortis Nederland (à un prix éventuellement revu). Fortis Holding garde les
filiales étrangères et les actifs toxiques (les vrais «petits»
actionnaires pourraient céder leurs actions à l’Etat contre une
indemnisation limitée, à financer par une taxe spéciale sur les banques).
L’Etat crée à partir de Fortis et de la Banque de La Poste une banque
publique de type CGER, dont la finalité est d’assurer un service public et
non de faire du profit. Elle bénéficierait de la garantie de l’Etat (qui
serait retirée aux banques privées).
Ce scénario est un objectif à court terme. À plus long terme, la
banque publique devrait s’étendre dans deux directions. Sectorielle: à
l’ensemble du secteur financier. Géographique: à l’ensemble de
l’Union européenne.
• Coût social. La
banque publique a pour finalité d’être au service de la population sans
nuire au personnel. Au contraire, elle conforterait l’emploi en développant
un réseau d’agences couvrant toutes les localités du pays. Dans les plus
petits villages, le bureau de poste serait rouvertet fusionné avec
l’agence bancaire publique pour offrir à la fois les services postaux et
bancaires.
• Coût financier. L’Etat
n’aurait pas les reins financiers assez solides pour un tel scénario, selon
le gouvernement. Mais bien pour soutenir les banques privées en perdant le
beurre et l’argent du beurre? Si la banque publique se concentre sur ses
activités de base et se limite au niveau national, elle n’aura aucun problème
financier. De 1865 à 1993, la CGER l’a fait sans avoir de soucis financier,
que du contraire.
• Partisans:
Depuis le premier jour de la crise Fortis, le PTB défend que cette banque est
trop importante que pour la laisser aux mains d’acteurs privés. Cette vision
est défendue par de plus en plus de gens. Par exemple, la FGTB[i],
le Réseau Finance Alternatif, certaines personnalités du PS[ii],
mais aussi des observateurs étrangers. Ainsi, l’économiste français
Jean-Paul Fitoussi constate: «Puisque BNP fait une bonne affaire
en rachetant Fortis, l’Etat belge aurait fait une bonne affaire en la
nationalisant[iii].»
Marco
Van Hees
Publié dans Solidaire le 20 février 2009
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