Accueil · Finance · Faisons de Dexia un «service public bancaire» Faisons de Dexia un «service public bancaire»Il faut
«déprofitabiliser» le secteur bancaire. Voici
quelques raisons de créer une vraie banque publique.
En une semaine, Dexia a bénéficié de deux sauvetages publics. Dans un
premier temps, les autorités françaises et belges ont injecté 6,4 milliards
€ dans le capital du groupe. Dans un second, ils ont garanti pour un an ses
emprunts sur le marché des échanges entre banques. Sans cela, vu le manque de
confiance, Dexia risquait de se trouver à cours de liquidités.
Aujourd’hui, Dexia est-elle une banque privée ou une banque publique?
Le groupe est né en 1996 de l’alliance du Crédit Communal de Belgique
privatisé et du Crédit Local de France. Cotée en Bourse, Dexia comptait comme
actionnaires fin septembre, outre les petits porteurs, des sociétés françaises
à capitaux publics (Caisse de dépôts, CNP Assurances), les communes belges
(Holding communal) et des sociétés coopératives belges (Arco et Ethias).
L’injection des 6,4 milliards a amené des actionnairessupplémentaires:
l’Etat français, l’Etat fédéral belge et les entités fédérées belges.
Si l’on retire les parts des petits porteurs (29,4%), d’Arco
(13,9%) et d’Ethias (5%), 51,7% du capital est détenu
directement ou indirectement par les pouvoirs publics. Mais alors, pourquoi
a-t-il fallu que les Etats garantissent ses emprunts pour que Dexia retrouve la
confiance des marchés?
Parce que malgré un capital majoritairement public, le groupe est une
société privée, fonctionnant comme tel. Il est coté en Bourse, il peut faire
faillite et sa raison d’être ‒ son moteur ‒ est de faire du
profit. D’ailleurs, quand les institutions publiques de crédit (Crédit
communal, CGER, etc.) ont été privatisées dans les années 1990, c’est
notamment avec l’argument que leur taux de profit était de moitié inférieur
à celui des banques privées.
La crise actuelle montre pourtant que le secteur bancaire est trop
important que pour le laisser dépendre de la recherche obsessionnelle du
profit. Il faut donc créer non une simple banque à capitaux publics mais un véritable
«service public bancaire».
Service
public contre profit : avantages et défauts
• Le grand avantage du privé. Admettons-le:
pour maximiser le profit, mieux vaut un fonctionnement privé. Du moins jusqu’à
la prochaine crise. Mais est-ce la fonction d’une banque? Non, sa
fonction est d’offrir une épargne sûre aux épargnants, ce qui permet
d’octroyer des crédits aux ménages, aux entreprises, à l’Etat et – la
spécialité de Dexia - aux autorités locales.
• Permettre une épargne sure. Certains
se souviendront du logo de l’ancienne banque publique CGER: une tirelire
en forme de maison surmontée d’une couronne symbolisant la garantie de
l’Etat. À l’époque, les banques privées ont exigé que la CGER supprime
toute référence à cette garantie de l’Etat, car cela «faussait la
concurrence». Ce qui montre combien elle comptait aux yeux des épargnants.
Aujourd’hui, le gouvernement donne la garantie de l’Etat au privé
avec l’argent du contribuable (et des petits actionnaires), s’empressant de
refiler l’activité au privé (cf. Fortis cédé à BNP Paribas). Qui vont
recommencer leur chasse au profit jusqu’à la crise suivante. Revenons à un
peu de bon sens: créons un service public bancaire qui pourra afficher
«Avec une garantie de l’Etatqui n’enrichit pas le privé».
• Eviter les crises de liquidités. «Si
les clients commencent à retirer leur épargne, même une banque solide peut
aller dans le mur», a déclaré le vice-président d’AXA IM. Le secteur
traverse une terrible crise de confiance. Les banquiers ne font plus confiance
aux banquiers. En d’autres termes, les capitalistes eux-mêmes n’ont plus de
facto confiance dans le système capitaliste, dans l’économie de marché.
Pour remédier à cette situation, certains spécialistes défendent une
nationalisation du secteur bancaire, car seul l’Etat assure la confiance, étant
capable de prendre (d’imposer) des décisions qui dépassent l’intérêt
individuel d’une seule entreprise. Mais ils défendent une nationalisation
temporaire. Sans doute parce que leurs certitudes idéologiques les empêchent
de voir qu’il vaudrait mieux une nationalisation définitive…
• Ne pas gruger les petits épargnants.
Braquées sur le profit, les banques n’hésitent pas à gruger les petits épargnants.
Un exemple parmi mille: il y a quelques mois (Solidaire, 26-5-2008),
nous avons dévoilé que Fortis obligeait ses agents commerciaux à proposer aux
clients des placements en fonction, non du rendement pour le client, mais du
rendement pour la banque. Et si les produits à risque (actions) leur
rapportaient plus, les agents devaient les fourguer coûte que coûte. Avec des
conséquences catastrophiques en cas de crise boursière.
Les banques n’étant pas des entreprises productives, mais des intermédiaires
financiers, leurs profits gigantesques (jusqu’à cette crise) viennent de prélèvements
abusifs et d’une spéculation effrénée. Raison pour laquelle un secteur
public bancaire pourrait réduire l’effet parasitaire des banques privées.
• Financer les entreprises par l’épargne. Traditionnellement,
dans nos économies, les entreprises se financent plus par les emprunts
bancaires (donc l’épargne) tandis que dans les économies anglo-saxonnes,
elles se financent plus par le capital à risque (les épargnants plaçant leurs
économies en actions). Mais le modèle ultra-libéral anglo-saxon s’est de
plus en plus imposé dans nos pays. D’où, par exemple, la création des intérêts
notionnels: une déduction fiscale basée sur le capital à risque.
Seulement, on voit où a mené le risque et son corollaire, la spéculation…
Une raison de plus pour renforcer l’épargne sans risque à travers une banque
publique.
• Respecter le personnel. Ces
dix ou vingt dernières années, les banques ont boosté leurs profits en spéculant,
en spoliant leurs clients, mais aussi en augmentant l’exploitation de leurs
travailleurs (qui partaient, heureusement pour eux, d’une situation salariale
plutôt favorable). Aujourd’hui, c’est par exemple un des secteurs les plus
touchés par le burn out (dépression due au surmenage). Un service
public permettrait de réduire cette pression sur le personnel. Pour s’en
convaincre, il suffit de demander aux employés de la CGER comment les
conditions de travail ont évolué depuis la reprise par Fortis.
• Ménager les finances communales.
On l’a vu, les communes belges figurent parmi les actionnaires de Dexia (à
hauteur de 17%). C’est sans doute pour cela que le gouvernement n’a
pas osé céder Dexia à une banque privée comme il l’a fait pour Fortis : il
aurait été politiquement flingué par tous les politiciens locaux. Il n’en
reste pas moins que les problèmes de Dexia risquent de réduire les revenus des
communes (via les dividendes qu’elles touchent chaque année de Dexia).
Notons d’ailleurs cette contradictionqui découle de la structure
privée de la banque: les communes perçoivent des dividendes (parfois
substantiels) de Dexia alors qu’elles lui payent d’importants intérêts sur
leurs emprunts. D’où une situation schizophrénique: comme actionnaire,
la commune attend de Dexia qu’elle fasse payer des taux d’intérêt élevés
alors que comme emprunteuse, elle espère voguer sur des bas taux. Ces différents
problèmes seraient évidemment évacués avec un service public bancaire.
• Contrôler les gestionnaires. La
gestion des services publics fait l’objet de vastes débats. Et les dernières
«affaires» (dans le logement social notamment) ont donné du grain
à moudre aux pourfendeurs du service public, face à un secteur privé réputé
plus efficace. On a vu pourtant, dans le secteur bancaire, où menait cette
efficacité. Et au fond, ces ripoux ne faisaient-ils pas qu’appliquer pour
eux-mêmes la logique de profit qui guide le système capitaliste?
Un service public bancaire devrait être doublement sous contrôle:
en tant que service public et en tant que banque (vu l’importance du secteur
pour l’économie). Or, la crise financière a montré les lacunes du contrôle
des banques privées. Pas si étonnant lorsqu’on sait qu’en Belgique, les
principaux gardiens de la finance (Jean-Claude Servais à la commission
bancaire, Peter Praet à la Banque nationale, Bruno Colmant à la Bourse de
Bruxelles) sont autant d’anciens chefs de cabinet de Didier Reynders, un
ministre des Finances intimes des banquiers, qui a lui-même présidé naguère
la banque SEFB et n’a cessé de cloué au pilori quiconque osait émettre la
moindre critique sur le secteur bancaire.
Plus fort: en juillet, le gouvernement français a désigné Bruno
Deletré à la supervision du secteur des banques et assurances. Jusque là,
Deletré dirigeait chez Dexia… le département supervisant FSA, la filiale américaine
à laquelle le groupe doit une grosse partie de ses problèmes actuels.
Toujours
est-il que si le service public bancaire peut être à l’abri de certaines dérives
des banques privées, il devra être malgré tout être soumis à de multiples
contrôles populaires, notamment de la part des usagers et du personnel.
Marco Van Hees
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