Accueil · Finance · Comment Fortis s'enrichit sur le dos des clients, de son personnel et des contribuables Comment Fortis s'enrichit sur le dos des clients, de son personnel et des contribuables
EXCLUSIF | Malgré la crise des subprimes, Fortis a réalisé en 2007
un bénéfice net de 4 milliards d'euros. Par quel miracle ? Trois révélations
montrant comment la banque gruge ses clients, son personnel et le fisc.
Fortis
s'enrichit sur le dos... des clients
Début 2008, tous les
agents commerciaux de Fortis reçoivent une lettre accompagnant une «fiche de
rendement». Cette dernière indique les rendements des différents placements
qui peuvent être offerts aux clients. Cela va du compte d’épargne
jusqu’aux divers fonds de placement, en passant par le compte à terme et les
bons de caisse.
En face de chaque
placement, la fiche indique un certain pourcentage. Nous n’indiquons pas ces
poucentages pour ne pas être accusé de violer un secret commercial. Mais
attention, il ne s’agit pas du rendement offert au client : ces pourcentages
mentionnent le rendement… pour la banque ! Vous aurez compris que ladite fiche
ne doit pas tomber sous le regard de la clientèle, malgré son look de
prospectus commercial.
La lettre qui
l’accompagne ne manque pas de piquant. On y lit d’emblée : «La pierre
angulaire du plan Retail 2008 est la croissance des recettes. Nous allons réaliser
celle-ci principalement au moyen de l’épargne et des placements.» Bref, pour
le réseau commercial, la bonne résolution de l’année, ce n’est pas un
truc comme «être toujours à disposition du client», «améliorer les délais»,
ou «offrir une image positive de la banque». Non, c’est tout bonnement :
augmenter le profit.
On sait bien que, dans
le système capitaliste, c’est ce qui motive les chefs d’entreprise. Mais de
là à l’inscrire, noir sur blanc, comme premier commandement dans le cahier
de catéchisme du personnel, il y a de la marge (bénéficiaire).
«Un bon conseil de
placement améliorera d’emblée la rentabilité de Fortis»
Grâce à la fiche
jointe, poursuit la lettre, «en un clin d’œil, vous pourrez voir combien vos
ventes rapportent.» C’est donc le regard rivé en permanence sur cette fiche
que l’employé Fortis doit «conseiller» ses clients. On imagine déjà les
lapsus : «Monsieur Pigeon, je ne peux que vous recommander cette sicav qui nous
rapportera, euh, pardon... qui vous rapportera un taux exceptionnel.»
Pour certains produits,
ça se complique : la fiche indique le rendement immédiat et le rendement
futur. «Car pour une croissance des recettes, précise la lettre, il n’y a
pas que le rendement immédiat qui compte.» Imaginez l’employé qui doit
proposer au client une combinaison de produits parfois compliqués, en lui précisant
les taux qu’il peut obtenir pour chacun, tout en calculant, mentalement,
combien ça va rapporter, à court terme et à long terme, à son patron. Dur…
Pourtant son propre revenu en dépend, puisque le salaire au mérite vient d’être
mis en vigueur chez Fortis.
On comprend mieux
pourquoi une psychologue nous confiait, voici peu, que ses nombreux patients
victimes de burn out (surmenage conduisant à la dépression) travaillent
principalement dans les écoles et les banques.
La missive conclut : «Un
bon conseil de placement conduit à un portefeuille composé de manière équilibrée,
va augmenter la satisfaction clients et améliorera d’emblée la rentabilité
de Fortis.»
Bref, une grosse louche
de cynisme agrémentée d’une pincée d’hypocrisie. Car à moins de tromper
le client, comment peut-il être satisfait ? Pour augmenter la rentabilité du
placement pour Fortis, ne faut-il pas logiquement réduire la rentabilité pour
Monsieur Pigeon ?
Fortis
s'enrichit sur le dos... de son personnel
Le personnel de
Fortis coûte-t-il tellement cher qu’il faille violer la loi pour lui voler
son dû ? Les comptes 2007 du groupe affichent 4,98 milliards € de charges
salariales pour un bénéfice de 3,99 milliards €. Donc, chaque euro de
salaire a rapporté 80 cents de bénéfice à Fortis. Alors que dans les
entreprises non financières, cet euro ne rapporte en moyenne que 50 cents.
Suite à des plaintes,
l’inspection sociale a effectué plusieurs contrôles chez Fortis en 2007. Ses
premières conclusions, contenues dans une lettre adressée à la banque,
mentionnent «des dérapages inacceptables en matière de respect des
dispositions légales relatives aux limites de la durée du travail.» En cause,
la comptabilisation des heures supplémentaires.
Il y a d’abord le fait
qu’en l’absence de pointeuse dans les agences, les employés y introduisent
«librement» leurs heures sup via leur PC. Librement ne signifie pas qu’ils
mentionnent des heures fictives. C’est l’inverse qui se passe : sous
pression de la hiérarchie, ils «oublient» d’encoder les prestations qui
sortent de l’horaire normal. En soirée ou le samedi. Ou lorsque la fermeture
de l’agence dépasse les vingt minutes officielles.
Et puis, il y a les règles
internes de Fortis. L’inspection sociale pointe «l’écrêtage des heures
supplémentaires au-delà de certaines limites dérogatoires». Écrêtage ?
Vous connaissiez les coupeurs de tête… Voici les coupeurs de crêtes. Un délégué
syndical du siège central nous explique : «Ici, le personnel a un horaire
flottant. Il peut reporter un solde de dix heures supplémentaires sur le mois
suivant. Si on les dépasse, le report du surplus [la crête] doit être
validé par le chef. Mais souvent, celui-ci refuse. Des milliers d’heures ont
ainsi été écrêtées.»
La lettre de
l’inspection sociale impose à Fortis «la mise en place d’outils de contrôle
fiables» afin de limiter, contrôler et rémunérer correctement les heures
supplémentaires. Elle attend aussi de la banque qu’elle fournisse «le relevé
des heures écrêtées et du samedi non prises en considération pour le calcul
du salaire ou du sursalaire et des récupérations des travailleurs concernés
par ces pratiques depuis le 1er juillet 2004.»
Ce vol salarial pourrait
se chiffrer en dizaines de millions d’euros. Il s’ajoute à d’autres systèmes
contestables (et contestés). En particulier, les nouveaux barèmes basés sur
le «mérite». Les syndicats accusent la direction d’avoir obligé la hiérarchie
à attribuer massivement des évaluations moyennes ou mauvaises. Une façon de réduire
les salaires sans le dire…
Et puis, le meilleur
moyen de diminuer la masse salariale, c’est encore de réduire le nombre de
travailleurs. Dans son plan de reprise d’ABN Amro par Fortis, le CEO Jean-Paul
Votron prévoit la disparition de 6 443 emplois d'ici 2010 (7 % de l’effectif
total Fortis/ABN Amro). «Des suppressions socialement justifiées»,
soutient-il, affichant une définition très personnelle du mot social. Depuis,
on évoque plutôt le chiffre de 8 000 emplois perdus.
Fortis
s'enrichit sur le dos... des contribuables
Vous payez trop d’impôts
? Devenez banquier... Les plus grands dossiers de fraude fiscale qu’a connu la
Belgique (affaire QFIE, affaire KB-Lux…) avaient les banques comme personnage
central. Aujourd’hui, on les retrouve dans les montages fiscaux réalisés
pour abuser des intérêts notionnels
Intérêts notionnels ?
Oui, cette fameuse déduction offerte aux sociétés belges depuis 2006. Une déduction
basée sur des intérêts totalement imaginaires («notionnels»), mais qui se
donne lieu à des économies d’impôts bien réelles : on parle d’un coût
budgétaire de 2,4 milliards d’euros pour la première année. Chaque ménage
paye donc en moyenne 600 euros pour
combler le trou que ce cadeau fait dans le budget.
Si le système est déjà
en lui-même un abus manifeste, les grandes banques et quelques autres
multinationales ont mis en place des montages fiscaux pour en abuser encore
plus. Dont Fortis.
Les fiscalistes du
groupe bancaire n’ont même pas dû inventer eux-mêmes le montage (que nous décrivons
ci-contre). Ils ont pu s’inspirer d’une sorte de livre de recettes. Cet
ouvrage, intitulé Les intérêts notionnels (Ed. Larcier, 2006), a été co-écrit
par les professeurs Colmant, Minne et Vanweklenhuyzen. Précisons que ce même
Bruno Colmant est devenu, peu après la publication du livre, le chef de cabinet
du ministre des Finances, Didier Reynders (MR).
Qui plus est, le
ministre a préfacé ce livre. Une préface dans laquelle il exhorte les
entreprises à ne pas mettre en place «des constructions visant à accroître
artificiellement leurs possibilités de déduction.» Un peu comme si la préface
de l’ouvrage Les meilleures recettes de cassoulet vous incitait à ne pas
consommer de graisse d’oie ou de canard...
Le montage risque-t-il
d’être remis en cause par le fisc ? Aucunement, car on lit dans le rapport
annuel de la filiale de Fortis créée spécialement pour le montage que
celui-ci a été soumis au Service des décisions anticipées. Il s’agit
d’un service du SPF Finances qui donne ou non son aval préalable à des
constructions fiscales potentiellement litigieuses. Or, selon le journal De
Tijd, les montages «intérêts notionnels» que les banques ont soumis au
service des décisions anticipées ont obtenu des réponses positives,
probablement avec l’aval du ministre Reynders.
Ce n’est pas le seul
cadeau fiscal dont bénéficie Fortis. À l’échelle de l’ensemble du groupe
(international), Fortis n’a pas supporté d’impôts en 2007. Mieux, il a bénéficié
de récupérations d’impôts (issus des années précédentes ou à déduire
sur les prochains exercices) qui ont augmenté son bénéfice de 225 millions
d’euros.
Le
montage fiscal de Fortis
Derrière un nom
compliqué, le principe des intérêts notionnels est relativement simple : pour
la première année (résultats de 2006), chaque société peut déduire
fiscalement 3,442 % de ses fonds propres (c’est-à-dire son capital et les bénéfices
des années antérieurs qui n’ont pas été distribués aux actionnaires).
La loi contient aussi
des «mesures anti-abus», dont la principale est d’exclure du système les
sociétés holdings (une société qui détient massivement les actions de sociétés
qu’elles contrôlent). Or, Fortis Banque contrôle des centaines de filiales,
pour des milliards d’euros. Elle ne peut donc pas bénéficier des intérêts
notionnels.
À moins de concevoir un
montage fiscal pour détourner la loi. L’ouvrage Les intérêts notionnels,
des professeurs Colmant, Minne et Vanweklenhuyzen, indique ainsi : «Dans la
mesure où cette société holding dispose d’actifs autres que des
participations qui donneraient droit à la déduction
pour intérêts notionnels, les groupes peuvent envisager de céder ou de
filialiser lesdits actifs de manière à ce qu’ils augmentent les fonds
propres d’une autre société belge du groupe.»
L’explication n’est
pas claire ? La réalité du montage de Fortis va nous permettre de l’éclaircir.
Le 9 mars 2006, Fortis Banque a créé une nouvelle filiale, la société Fortis
Finance Belgium (FFB). Elle a injecté dans celle-ci un capital de… 8,5
milliards d’euros. Gloups. C’est pratiquement ce que rapporte par an l’impôt
de toutes les sociétés de Belgique !
Attention, ce n’est
pas de l’argent frais. Fortis Banque a simplement cédé à la nouvelle société
les prêts qu’elle avait octroyés à d’autres de ses filiales. Désormais,
c’est donc FFB la créancière de ces prêts. C’est elle que les autres
filiales remboursent. En 2006, FFB a ainsi touché des intérêts pour 325
millions d’euros. Charges déduites, il lui est resté un bénéfice avant impôts
de 253 millions. Joli pour une société qui compte à peine 1,5 équivalent
temps plein.
Normalement, une société
paye 34 % d’impôts sur ce bénéfice. Mais c’est ici qu’interviennent les
intérêts notionnels. Ceux-ci sont calculés sur les fonds propres, donc
notamment sur le capital. Or FFB a un fameux capital. Cela lui a permis de déduire
222 millions d’intérêts notionnels. «Les impôts ont ainsi pu être limités
à 10,6 millions d’euros, soit 4,2 % du résultat avant impôts», lit-on dans
le rapport annuel. Un taux d’imposition de 4,2 % au lieu des 34 % officiels.
Après impôts, il reste
donc à FFB un bénéfice net de 242 millions d’euros. De ce montant, 230
millions ont été distribués au titre de dividendes à l’actionnaire, Fortis
Banque. Cela a donc augmenté de 230 millions le bénéfice de celle-ci. Mais ce
montant n’est pas taxable car il bénéficie du régime des RDT (revenus définitivement
taxés). Principe : la société-mère ne doit pas payer pour des bénéfices
qui ont déjà été taxés dans le chef de sa filiale. Sauf qu’ici, ces bénéfices
n’étaient pratiquement pas taxés à la base. On parlerait donc plus
justement de RDNT : revenus définitivement non taxés…
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