Accueil · Antisocial · Emploi · Maintenant tu me coûtes cher: tu dois travailler deux fois plus vite Maintenant tu me coûtes cher: tu dois travailler deux fois plus viteNicolas Wers, 22 ans, croyait avoir
trouvé un bon emploi et l'occasion de se former. C'était compter sans la
cupidité de son employeur et les effets pervers des plans d'emploi.
On manque de main-d'uvre dans le bâtiment, affirment les
organisations patronales. Le bâtiment, c'est justement le secteur qui attire
Nicolas Wers. Et ce jeune de La Louvière croit avoir trouvé une bonne place,
en septembre de l'année passée, quand il commence dans une petite société spécialisée
dans la pose de cloisons Gyproc. D'autant que la firme est installée dans la
rue à côté chez lui et que le patron est le père de son meilleur ami.

Nicolas Wers a été licencié pour faute grave:
il aurait envoyé son certificat à l'ancienne adresse de la société...
qui est toujours le domicile du patron. (Photo Marco Van Hees)
Nicolas est engagé sous statut Plan formation-insertion. On
apprend sur le site du ministre Marcourt (PS) que le PFI «permet à une
entreprise wallonne d'engager un chômeur et de le former sur son poste de
travail pour qu'il soit le plus rapidement compétitif dans l'entreprise. Pour
ce faire, l'entreprise bénéficie d'une réduction substantielle des coûts
salariaux grâce au maintien des allocations de chômage du candidat pour une
durée limitée.»
Le demandeur d'emploi, lui, est censé décrocher à la fois
une formation et la garantie d'un futur emploi. En effet, le patron doit désigner
parmi son personnel un ou des tuteur(s) chargé(s) d'accompagner le petit
nouveau pendant la durée de la formation. Et à l'issue du contrat PFI (entre 4
et 26 semaines), il doit l'engager pour une durée au moins égale à celle du
PFI.
Le patron était tout le temps derrière
moi à soupirer ou à m'engueuler
Pendant six mois, les choses ne se passent pas trop mal pour
Nicolas, même si l'entreprise compte plus de PFI que de travailleurs chevronnés.
Peu importe, il se donne à fond. Début avril, il signe un contrat comme le prévoit
la réglementation. «A partir de ce jour-là, tout a basculé. Le patron m'a
dit: maintenant tu me coûte cher, tu dois travailler deux fois plus vite.»
Le boss ne se contente pas de déclarations. Il se livre à
un véritable harcèlement. «Il était tout le temps derrière moi à
soupirer ou à m'engueuler, en répétant: plus vite, tu me coûtes cher. Un
jour, sur un chantier assez éloigné, je rate un travail que j'effectuais pour
la première fois. Il m'a dit que je devais retourner le week-end, à mes
propres frais, pour refaire le boulot.» Alors qu'il n'a presque aucune expérience,
il est désigné comme tuteur pour les nouveaux PFI. «Quand ils n'allaient
pas assez vite, c'est moi qui me faisais engueuler.»
Après quelques mois de ce régime, le jeune n'en peut plus.
Il doit se retenir de ne pas cogner sur son patron. Bientôt, il sombre dans la
déprime et se retrouve en congé de maladie. Prudent, il envoie le certificat médical
par recommandé. Prétextant un changement d'adresse de sa société,
l'employeur ne va pas chercher le recommandé et le licencie pour faute grave:
absence injustifiée. Pourtant, la prétendue mauvaise adresse de l'entreprise
est aussi celle de son domicile. Et sur une attestation qu'il remettra au secrétariat
social, il mentionne à la fois la nouvelle adresse de la société et, dans la
case «cachet de l'entreprise», l'autre adresse.
En attendant, Nicolas est licencié pour faute grave. L'Onem
risque donc de le sanctionner. Même si, avec l'aide du syndicat, il a entamé
une action contre son ex-employeur. Ce dernier refuse même de lui rendre le
coffre à outils (visseuse électrique, niveau, cisaille, etc.) qu'il avait été
obligé d'acheter à ses frais.
L'attitude du patronne lui fait pas grand-mystère: «Il
prend des PFI car ils ne lui coûtent presque rien, puis il s'en débarrasse par
tous les moyens.» Et que fait, sinon la police, du moins le Forem ? «On
m'a dit au Forem de La Louvière qu'il y a cinq contrôleurs PFI pour toute la
Wallonie.» Pour un organisme censé favoriser l'emploi...
Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 18 octobre 2006
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