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Accueil · Antisocial · Emploi · Intérim: les employeurs violent la loi Intérim: les employeurs violent la loiC’est probablement l’activité hors-la-loi dont la
progression est la plus élevée: + 458% en vingt ans. Et elle
empoisonne la vie d’un demi-million de personnes. Que fait la police?
Cathy Miny (nom d’emprunt) travaille depuis neuf mois dans un chaîne de
magasins bien connue. Le premier mois, elle est engagée sous contrat à durée
déterminée (CDD). Puis, la direction l’envoie s’inscrire dans une société
d’intérim. Chaque semaine, un nouveau contrat. Chaque semaine, une durée de
travail différente, entre 20 et 38 heures. Chaque semaine, des heures et jours
de travail différents. Parfois, on lui téléphone le matin: «Normalement
tu es en congé aujourd’hui, mais peux-tu être là dans une heure?»
Cathy n’aurait pas l’audace de refuser. D’ailleurs, elle n’ose rien
refuser. Car après quelques temps, on lui fait comprendre qu’elle pourrait décrocher
un contrat à durée indéterminée (CDI). «On», ce n’est même
pas la direction, mais les collègues. «Je n’imagine pas être
absente lorsque je suis malade, confie Cathy. Je suis venue travailler
avec une grippe intestinale. Et même lorsqu’un proche est décédé, j’ai hésité.»
Elle se démène aussi pour atteindre les objectifs commerciaux fixés, alors
que, contrairement aux travailleurs fixes, les intérimaires n’en tirent
aucune prime.
Aujourd’hui, elle ne sait toujours pas si elle aura un emploi fixe un jour
dans cette entreprise. On pourrait dire qu’elle travaille sous… contrat intérimaire
à durée indéterminée. Des collègues plus anciens ont été engagés après
une petite année d’interim flexi-corvéable. Ils ont d’abord signé trois
CDD successifs de trois mois. Puis, on décroché un CDI, mais à mi-temps. Ce
qui leur fait magistralement 600 euros par mois. Sans chômage pour l’autre
mi-temps: comme intérimaire, ils étaient considérés comme demandeurs
d’emploi et n’ont donc pas droit aux allocations... Ce cas n’est nullement
exceptionnel. C’est le lot habituel d’une grande partie du demi-million
d’intérimaires que compte la Belgique1. Pourtant, cette situation
est le plus souvent illégale.
Illégale? Oui, la loi est très claire. Le recours au travail intérimaire
est interdit, sauf dans trois exceptions: le remplacement temporaire
d’un travailleur quittant l’entreprise, le surcroît temporaire de travail
ou l’exécution d’un travail exceptionnel.
Mais en Belgique, les employeurs ne semblent pas tenus de respecter la loi.
Ce qui fait que le nombre d’heures prestées en intérim est passé de 31
millions en 1996 à 173 millions en 2006 (+ 458%). Federgon, la fédération
belge de l’intérim, met toutefois en œuvre un lobbying intensif pour «moderniser»
cette loi qu’elle juge «obsolète».
Lobbying intensif du secteur de l'intérim
«Les représentants de Federgon prennent de nombreux rendez-vous
dans les partis, dans les cabinets ministériels, nous raconte une
observatrice privilégiée. Ils ont déjà obtenu une petite modification de
loi, insérée dans le Pacte des générations sans concertation syndicale. Mais
ils veulent plus...»
Plus, c’est l’«intérim d’insertion», c’est-à-dire
l’intérim comme procédure d’embauche. C’est déjà le cas dans les
faits, alors autant adapter la loi, affirme Federgon, qui reconnaît ainsi que
l’illégalité est quotidienne. L’alibi de l’emploi, c’est classique.
Mais pourquoi passer par l’intérim alors que l’employeur qui embauche un
travailleur peut lui faire prester une période d’essai?
Parce que la généralisation de l’intérim permettrait aux employeurs
d’accroître la flexibilité et la soumission du personnel. Le processus est
européen. Il entre dans le cadre de la fameuse flexicurité prônée par
la Commission européenne: pour faire avaler la pilule de la flexibilité,
elle prétend y adjoindre la sécurité d’emploi pour le travailleur.
Mais à voir comment l’Association européenne des agences d’intérim
(Eurociett) s’est jetée sur le plan de la Commission pour promouvoir
le travail intérimaire, on comprend à quel point il est d’inspiration
patronale.
De même, en Belgique, les ambitions de Ferdergon sont vastes. Elle veut
ainsi autoriser l’intérim dans les secteurs où il est interdit (navigation
intérieure, déménagement, services publics). Ou permettre qu’en cas de grève,
les intérimaires de l’entreprise puissent poursuivre le travail. Ou encore
supprimer le contrôle syndical – fixé par la loi – sur l’engagement
d’intérimaires. Vous pensez vraiment que tout cela va accroître la sécurité
d’emploi des travailleurs?
1. 363437 intérimaires au travail + 129878
étudiants ayant travaillé comme intérimaire, selon le rapport 2006 de
Federgon.
Jacques Michiels, responsable FGTB du secteur intérim
: «Un contrat de semaine en semaine
pendant sept ans, c’est inadmissible»
Heureux hasard du calendrier: le volet intérim
de notre enquête presse-citron sort ce 19 septembre, «journée des
droits des intérimaires». Rencontre avec son initiateur.
Jacques Michiels, vous êtes secrétaire général
de la Centrale générale FGTB et aussi responsable FGTB du secteur intérim. En
quoi consiste cette journée?
Jacques Michiels. Nous en sommes à la troisième
édition. En 2005, nous avions distribué des préservatifs pour se protéger
des rapports multiples avec les employeurs. Cette année, nous menons 19 opérations
dans les grandes villes, comme aller dans les quartiers comptant de nombreuses
agences d’intérim pour rebaptiser les artères, en leur donnant des noms
comme «rue des petits boulots». Nous organisons aussi une «interim
parade» et publions un journal, The Interim Times.
Que reprochez-vous au travail intérimaire?
Jacques Michiels. L’intérim, c’est la précarité.
Nous ne sommes pas contre son principe, mais il y a de graves abus. Les
employeurs ne respectent pas la législation. On en arrive à des situations où
des gens travaillent comme intérimaire dans la même entreprise pendant trois,
quatre, cinq, voire sept ans, comme à Forest national. Avec un contrat renouvelé
de semaine en semaine.
L’intérim est un bon moyen de décrocher un
emploi, défend Federgon, la fédération du secteur...
Jacques Michiels. Selon leurs statistiques, un
intérim sur deux débouche sur un emploi fixe. J’ai des doutes sur le temps
durant lequel le travailleur garde cet emploi. Mais un tel chiffre n’est pas
étonnant dans la mesure où les employeurs ont fermé les autres entrées
possibles pour obtenir un boulot.
La politique patronale est de faire de l’intérim un
passage obligé. C’est pourquoi Federgon veut insérer dans la loi «l’intérim
d’insertion» [l’intérim comme moyen d’embauche].
Inadmissible, car la loi actuelle [qui consacre le caractère exceptionnel de
l’intérim] n’existerait plus et les entreprises se retrouveront avec
200 intérimaires en permanence.
Daikin est n°1 de notre classement. Vous
connaissez?
Jacques Michiels. Oui, notre Interim Times publie
d’ailleurs le témoignage d’un intérimaire qui y travaille [voir extrait
ci-contre].
Quelles ripostes syndicales face à l’offensive
patronale?
Jacques Michiels. Nous sommes à la veille
d’une discussion au CNT [Conseil national du travail, où patrons et
syndicats font des propositions au gouvernement]. Nous nous battrons pour
que la législation ne soit pas assouplie. Nous veillons aussi à ce que les
droits des intérimaires soient mieux respectés: ils ont droit au même
salaire que le personnel de l’entreprise où ils travaillent, mais souvent il
y a des différences quand il s’agit d’appliquer les barèmes ou pour les
jours fériés et absences maladie. C’est pourquoi nous organisons des journées
d’études pour les délégués, ces 4 et 5 novembre.
Cindy et la chocolaterie
Ce témoignage est extrait de The Interim
Times, publié par la FGTB.
«Je travaille en alternance dans deux entreprises, raconte
Cindy. Une fois chez Daikin, l’entreprise d’air conditionné, une
fois chez Jacali, une chocolaterie. En fait, ce contrat à durée indéterminée
ne change rien pour moi. Parce que je reçois toujours des fiches de
salaire hebdomadaire de l’agence d’intérim. Je ne sais jamais quand
je vais travailler dans l’une ou l’autre entreprise, ni pour combien
de temps. Je passe d’un pic de production d’une entreprise au pic de
production de l’autre, un coup dans l’équipe du matin et juste après,
dans l’équipe de jour. Avec ce contrat, je n’avance pas. Depuis le
temps que je travaille pour ces deux entreprises, je n’ai aucune
ancienneté, pas d’augmentation salariale ni même de pension complémentaire.
Et en plus, il y a une grosse différence salariale entre Daikin et
Jackaly. Par mois, cela fait vite dans les 200 euros. Mais bon, je ne
peux pas choisir. Je suis une balle de ping-pong et avec ce système,
j’ai vraiment moins de chance de trouver un emploi fixe.»
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Les champions de l’intérim
Selon notre enquête «presse-citron 2007» sur
126 grandes entreprises, l’intérim a atteint en 2006 une moyenne de 2,61%
des heures prestées par le «vrai» personnel. L’année précédente
(2005), c’était 2,30%, ce qui fait une progression de 13%.
Dans l’absolu
1. La Poste |
1.633.186 heures
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2. Volvo Europa Truck |
789.905 heures
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3. GlaxoSmithKline Biologicals |
616.253 heures
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4. Daikin Europe |
611.003 heures
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5. Volvo Cars |
512.781 heures
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En pourcentage du personnel
1. Daikin Europe |
43,90 %
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2. Volvo Europa Truck |
21,19 %
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3. Cleaning Masters |
17,61 %
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4. H & M |
12,57 %
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5. Baxter
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11,28 %
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Voir
le classement complet des 126 entreprises étudiées
Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 19 septembre 2007
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